Le groupe qui l’a révélé, Justice, a toujours œuvré pour le décloisonnement des genres musicaux. Au sein de ce duo, Gaspard Augé s’est distingué par sa longue silhouette chevelue et sa moustache fournie. On le retrouve aujourd’hui avec un premier album solo, Escapades, qui invite au voyage. Une idée salutaire en ces temps de crise sanitaire. “J’avais commencé ce disque avant, la partie créative était derrière moi et il restait un travail de finition,nous explique Gaspard.J’avais une mission à terminer et j’ai eu le temps de m’y consacrer. C’est important de laisser reposer ce qu’on a enregistré, sans le partager de manière précipitée. Ça a été bénéfique d’avoir ce temps de réflexion et j’ai plutôt bien vécu cette parenthèse bizarre.” L’ex-graphiste n’a pas réalisé cette échappée solitaire en totale autarcie. Deux de ses amis l’ont accompagné sur cette nouvelle aventure : le compositeur et arrangeur Victor Le Masne et l’ingénieur du son Michael Declerck. Cette fine équipe s’estréunie au studio Motor bass du regretté Philippe Zdar. Le résultat reflète ce que Gaspard aime lui-même écouter : une musique instrumentale, inclassable et cinématographique, dans la lignée de l’âge d’or des BO de films et de l’illustration sonore.“Cette musique est faite pour fonctionner avec des images. Elle doit faire preuve de créativité et faire ressentir quelque chose au spectateur. C’est exactement ce qui m’intéresse : être surpris et touché. J’ai cherché ces sorties de route, cette absence de narration qui oblige à trouver des solutions mélodiques pour garder l’excitation intacte.”On est ici loin de la pop mainstream. En guise d’inspiration, il cite des compositeurs mythiques comme John Barry, Ennio Morricone, Alain Goraguer, Alessandro Alessandro ni et François de Roubaix. Comme eux, le quadra parisien signe des morceaux qui dessinent des images dans l’esprit de l’auditeur.“J’ai l’impression que ce n’est pas un disque abstrait, analyse-t-il. Il touche à des choses universelles, et le fait de ne pas avoir recours au langage renforce cela. Je ne voulais pas imposer une vision du monde, ni une attitude. En ce moment, quand j’entends des chansons avec des paroles, je trouve ça contraignant et polluant, mais c’est sûrement une lassitude passagère! (rires) En tout cas, j’avais envie de faire une musique instrumentale, où on entend seulement quelques chœurs féminins, et on s’est vraiment bien amusés à faire ce disque.” On en a la preuve sur les premiers clips qu’il a dévoilés,Force majeure et Hey!, tournés en Turquie. Dans le premier, Gaspard s’illustre à la batterie, au cœur d’une fabrique traditionnelle de cymbales, à grand renfort de synthés incisifs. Dans le second,on suit un cavalier échevelé parcourir les steppes sur fond de beats martiaux et de violons altiers. Ces deux épopées donnent un aperçu d’Escapades,qui fait entrer en collision des ambiances vintage et futuristes. Cette soif de grands espaces saute aux yeux sur la pochette, imaginée par Thomas Jumin : une nature aride et dépeuplée, avec des montagnes au loin et un gigantesque diapason chromé, planté dans un rocher. Cette image ravira les amateurs descience-fiction (dont Gaspard fait partie). Ce mélange rétro-visionnaire s’exprime aussi dans les looks de prédilection du musicien. “J’aime beaucoup l’esthétique glam de Marc Bolan, Bowie, The Sweet et Polnareff, confie-t-il. Ces mecs androgynes m’ont toujours fasciné. J’ai un peu de nostalgie pour une époque que je n’ai pas vécue, les années 1970.” Gaspard nous livre une référence visuelle qu’il avait en tête pendant l’élaboration d’Escapades : “La saharienne de Saint Laurent, avec ses tons beiges, ceinturée et bien coupée, toute cette esthétique m’intéresse.” À défaut de se déplacer librement, et en attendant le quatrième album de Justice, en pleine préparation, on se réjouit de tous les voyages intérieurs dont regorge cet album propice à l'exploration.