Dans "Pauvres Créatures", le passage à l'âge adulte se manifeste dans les vêtements
Focus sur les clés qui définissent la garde-robe victorienne futuriste d'Emma Stone dans le rôle de Bella Baxter, la protagoniste de cette comédie délirante de Yorgos Lanthimos sur une femme avec un cerveau de jeune fille dans un 19e siècle dystopique.
Holly Waddington, la costumière de Pauvres Créatures (Poor Things, VO), avoue s'être sentie gênée lors de plusieurs conversations sur les vêtements avec Yorgos Lanthimos, le réalisateur du film. En raison de l'intrigue et de la nature des plans qui allaient être filmés, une grande partie de la discussion entre les deux tournait autour du sexe : comment porter ce vêtement particulier ? Comment Bella Baxter, la protagoniste, peut-elle avoir des relations sexuelles en portant ce look ?
Basé sur le roman éponyme d'Alasdair Gray, Pauvres Créatures est à la fois un film d'époque et un film de science-fiction, dans lequel un scientifique flamboyant réussit à transplanter le cerveau d'un enfant dans le corps d'une femme adulte. Dans un passage à l'âge adulte marqué par la libération sexuelle et intellectuelle des hommes qui ont l'intention de s'emparer d'elle, les costumes devaient non seulement s'adapter aux scénarios dystopiques dans lesquels le personnage de Bella Baxter - interprété par Emma Stone, lauréate d'un Oscar - se trouvait, mais aussi refléter l'évolution dans laquelle elle vivait.
Pour créer les costumes de cet univers fictif, Holly Waddington s'est presque entièrement fiée à son instinct et à son intuition. Hormis une œuvre d'Egon Schiele qui lui a servi de référence pour ses cheveux, le réalisateur n'a imposé aucune restriction créative quant à la manière dont les gens devaient s'habiller dans ce XIXe siècle dystopique et fantastique. "Le seul commentaire vraiment important était que je ne voulais pas que le film ressemble trop à un drame d'époque, ni à un film de science-fiction", explique-t-il.
Forte de son expérience dans d'autres titres tels que The Young Lady, avec Florence Pugh, ou la série The Great, Holly Waddington s'est tournée vers un ensemble d'outils complètement différent cette fois-ci. "Tout ce qui comportait de la dentelle, des perles ou de la broderie ne me semblait pas approprié", a-t-elle déclaré. Au lieu de cela, elle s'est inspirée des silhouettes exagérées de l'ère victorienne, mais les a radicalisées en utilisant des tissus modernes, tels que le plastique et le latex. L'effet est anachroniquement déconcertant, accentuant cette nuance étrange et originale d'une héroïne... bien déconcertante.
Au début du film, Bella semble toujours plus ou moins déshabillée, comme c'est souvent le cas chez les jeunes enfants. Les vêtements intimes sont portés au grand jour, avec des tenues enfantines que Bella n'a pas choisies pour elle-même. Au contraire, dans le deuxième acte du film, lorsqu'elle se rend à Lisbonne et rencontre "le monde extérieur" auquel elle aspire, elle troque son short volant pour un short en soie jaune, plus sensuel, plus féminin. Holly Waddington a pensé au look emblématique de Jodie Foster dans Taxi Driver lorsqu'elle a conçu la façon dont elle voulait que Bella s'habille pour sa première promenade en solitaire dans la vraie vie. Pour la robe de mariée, les manches ballon atteignent jusqu'à un mètre de diamètre, combinées à un voile presque inexistant qui encercle son visage et se ferme par un nœud austère au niveau du cou.
Tout comme la transformation intérieure de la protagoniste, les costumes conçus par Holly Waddington se réinventent sous nos yeux, image par image, seconde par seconde, de manière précise mais subtile. Ce n'est peut-être pas avant la dernière scène, dans laquelle nous voyons Bella en femme au foyer étudiant pour son examen de médecine, entourée de tous ses amis (et de ses dernières créations), que son évolution devient palpable, reconnaissable : ses cheveux noirs sauvages sont peignés, son visage est dégagé et elle porte un élégant pull-over crème - sans jamais renoncer à ses spectaculaires manches bouffantes. Si ce n'était pas évident avant, ça l'est maintenant : la fille est devenue une femme, avec une personnalité, une voix et un style qui lui sont propres et qui se manifestent organiquement dans sa garde-robe.
