Après “Chaleur humaine”,
Chris et son deuxième album ont excité les Anglo-Saxons... mais crispé la presse française. Retour sur la promo houleuse d’un disque joyeux.

Auteur NORA BOUAZZOUNI 
Photographe DANNY LOWE 
Styliste LOYC FALQUE

Pour son deuxi&egrave;me album paru sous son nouveau nom en septembre, Chris<s>tine and the Queens</s> s&rsquo;est voulue joueuse, joyeuse et jouisseuse, atomisant la partition attendue de la f&eacute;minit&eacute; afin de composer la sienne et empruntant au R&rsquo;n&rsquo;B et &agrave; la funk pour mieux brouiller les pistes de sa pop. Concerts sold out un peu partout, tourn&eacute;es aux &Eacute;tats-Unis et en Australie, presse anglo-saxonne dithyrambique (album de l&rsquo;ann&eacute;e pour <a href="https://www.theguardian.com/music/2018/nov/18/christine-queens-live-review-bournemouth-international-brilliant-undeniable-force" target="_blank">The Guardian</a>, chanson de l&rsquo;ann&eacute;e pour <a href="http://time.com/5401145/christine-and-the-queens-interview/" target="_blank">Time Magazine</a>), nomination aux Brit Awards face &agrave; Ariana Grande... Et en France ? Difficile de savoir ce que la presse a pens&eacute; de ce disque, tant son auteure-compositeure-interpr&egrave;te-productrice fut syst&eacute;matiquement somm&eacute;e d&rsquo;expliquer son nouveau look et de &ldquo;psychologiser&rdquo; sa coupe de cheveux.

Comment avez-vous v&eacute;cu le fait d&rsquo;&ecirc;tre sans arr&ecirc;t emmen&eacute;e sur un terrain extra-musical par les m&eacute;dias fran&ccedil;ais ?

Chris : Je l&rsquo;avais d&eacute;j&agrave; remarqu&eacute; avec mon premier album, Chaleur humaine. J&rsquo;&eacute;tais tr&egrave;s d&eacute;sireuse de parler musique mais comme je trouvais tr&egrave;s important aussi de revendiquer qui j&rsquo;&eacute;tais, de la culture queer qui faisait partie de mon travail, on ne m&rsquo;a plus parl&eacute; que de &ccedil;a. C&rsquo;&eacute;tait frustrant. J&rsquo;ai aussi d&eacute;couvert que c&rsquo;&eacute;tait sensationnel &ndash; au sens de sensationnaliste &ndash; d&rsquo;&ecirc;tre pansexuelle, que &ccedil;a pouvait &ecirc;tre une accroche d&rsquo;article. Et puis il y avait une grande dichotomie entre l&agrave; o&ugrave; j&rsquo;en &eacute;tais de ma r&eacute;flexion et la curiosit&eacute; gourmande des m&eacute;dias. Le fait qu&rsquo;on ne m&rsquo;ait parl&eacute; que de mes cheveux, c&rsquo;est vertigineux ! J&rsquo;en ai aussi fait une lecture f&eacute;ministe : en tant que femme, je suis plus sexualis&eacute;e que les artistes masculins, mon physique est comment&eacute;... Or, depuis le d&eacute;but, j&rsquo;essaie de raconter une autre fa&ccedil;on d&rsquo;&ecirc;tre femme. Je ne crois pas avoir durci le ton, j&rsquo;ai plut&ocirc;t l&rsquo;impression que c&rsquo;est en face qu&rsquo;il s&rsquo;est durci. 
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Avez-vous cherch&eacute; &agrave; cr&eacute;er cette conversation avec l&rsquo;autoportrait paru six mois avant&nbsp;l&rsquo;album dans dans le magazine &Eacute;go&iuml;ste (dans lequel l&rsquo;artiste signe un texte d&rsquo;explication po&eacute;tique sur son &ldquo;&eacute;tat civil&rdquo;, ndlr) ?

Pas violemment, non. J&rsquo;ai cherch&eacute; &agrave; faire un geste fort avec &Eacute;go&iuml;ste, un geste d&rsquo;&eacute;mancipation qui m&rsquo;excitait artistiquement. Je me sexualisais selon mes propres r&egrave;gles. En fait, le geste d&rsquo;&eacute;criture de ce deuxi&egrave;me album &eacute;tait tr&egrave;s joyeux. J&rsquo;ai eu la chance folle d&rsquo;exister avec Chaleur humaine, et j&rsquo;ai eu envie de pousser les choses plus loin, de travailler la nuance, le d&eacute;sir que soul&egrave;ve le doute. C&rsquo;&eacute;tait un geste exigeant dans le sens o&ugrave; je n&rsquo;avais aucune envie de simplifier les choses. 
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&Ccedil;a a pu cristalliser cette curiosit&eacute; confinant parfois &agrave; l&rsquo;hostilit&eacute; ?

Le probl&egrave;me, c&rsquo;est que &ccedil;a n&rsquo;&eacute;tait jamais le point de d&eacute;part d&rsquo;une r&eacute;flexion. Apr&egrave;s, la d&eacute;marche me tenait tant &agrave; c&oelig;ur que j&rsquo;aurais peut-&ecirc;tre d&ucirc; court-circuiter certaines questions au lieu d&rsquo;y r&eacute;pondre. Quelle d&eacute;sillusion d&rsquo;avoir eu envie de me taire pour que l&rsquo;on parle de mon travail! J&rsquo;ai aussi trouv&eacute; int&eacute;ressant que tout ce que j&rsquo;avais dit depuis quatre ans &eacute;tait soudainement tr&egrave;s audible. Ce devait &ecirc;tre li&eacute; &agrave; mon apparence plus &ldquo;douce&rdquo; sur Chaleur humaine. Pourtant, mon deuxi&egrave;me album est tr&egrave;s lumineux, je travaille une sensualit&eacute;, une fa&ccedil;on d&rsquo;exister, rien d&rsquo;agressif. Mais des journalistes ont trouv&eacute; &ccedil;a violent &ndash; j&rsquo;ai surtout l&rsquo;impression que &ccedil;a leur faisait violence ! C&rsquo;&eacute;tait troublant, parce que j&rsquo;arrivais crisp&eacute;e aux interviews en Angleterre, o&ugrave; la conversation n&rsquo;avait m&ecirc;me plus du tout la m&ecirc;me couleur. Je vivais deux r&eacute;alit&eacute;s tr&egrave;s diff&eacute;rentes sur cet album. 
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Votre premier album a &eacute;t&eacute; r&eacute;&eacute;dit&eacute; en version anglaise, mais pour Chris, vous avez sorti directement un double album, en anglais et en fran&ccedil;ais. Pourquoi ?

Je n&rsquo;arrivais pas du tout &agrave; choisir. Je voulais garder des in&eacute;dits en fran&ccedil;ais, et en m&ecirc;me temps j&rsquo;avais ce destin un peu fou outre-Manche, donc j&rsquo;ai eu envie de poursuivre la d&eacute;marche entam&eacute;e avec Chaleur humaine et de traduire certains titres. C&rsquo;est paradoxal, parce qu&rsquo;on m&rsquo;a ensuite beaucoup reproch&eacute; de n&eacute;gliger la France ! J&rsquo;adore &eacute;crire en fran&ccedil;ais, surtout sur des prods agressives et up tempo. J&rsquo;ai beaucoup pens&eacute; &agrave; l&rsquo;album Love on the Beat, de Gainsbourg. Je trouvais &ccedil;a tr&egrave;s fran&ccedil;ais d&rsquo;&ecirc;tre vraiment dans le micro avec du gros son ricain derri&egrave;re. Et le fran&ccedil;ais me permet d&rsquo;&ecirc;tre un peu plus crue et frontale dans l&rsquo;&eacute;criture, comme avec &ldquo;Follarse&rdquo;. 
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Vous avez &eacute;crit simultan&eacute;ment dans les deux langues ?

J&rsquo;ai surtout commenc&eacute; par le fran&ccedil;ais, qui est plus rugueux &agrave; travailler, donc je me disais que tirer ensuite vers l&rsquo;anglais serait plus int&eacute;ressant. &ldquo;Damn, dis-moi&rdquo; ou &ldquo;Goya Soda&rdquo; ont d&rsquo;abord &eacute;t&eacute; &eacute;crites en fran&ccedil;ais. Parfois, j&rsquo;ai travaill&eacute; simultan&eacute;ment. D&rsquo;autres fois, j&rsquo;ai fait la traduction juste avant l&rsquo;enregistrement en studio. Pour des chansons plus bavardes, comme &ldquo;Doesn&rsquo;t Matter&rdquo;, &ccedil;a a &eacute;t&eacute; moins &eacute;vident. J&rsquo;ai d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; l&rsquo;exotisme du fran&ccedil;ais quand je me produis &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger, et de l&rsquo;autre mon anglais qui est un peu une &eacute;tranget&eacute;. Mais la pop, c&rsquo;est d&rsquo;abord un plaisir sonore. 
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Pensez-vous que Chris en tant qu&rsquo;alter ego en a d&eacute;stabilis&eacute; certains ?

En barrant mon nom, j&rsquo;ai fait un geste de perversion l&eacute;ger pour ne pas m&rsquo;ennuyer artistiquement, avoir un peu peur. Je ne me compare pas &agrave; lui, mais David Bowie foutait tout en l&rsquo;air d&egrave;s qu&rsquo;il s&rsquo;installait dans quelque chose de confortable. &Ccedil;a lui permettait de ne pas se sentir enferm&eacute;. C&rsquo;est tr&egrave;s fran&ccedil;ais, cette approche psychologisante du personnage de sc&egrave;ne. Parce que Rihanna non plus, ce n&rsquo;est pas son vrai pr&eacute;nom ! Chris, c&rsquo;est l&rsquo;inverse d&rsquo;un masque. Sur sc&egrave;ne, je suis dans&nbsp;le l&acirc;cher-prise total. Et puis Chris, c&rsquo;est le surnom de Christine, une fa&ccedil;on de me pr&eacute;ciser en avan&ccedil;ant. 
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J&rsquo;ai l&rsquo;impression qu&rsquo;on vous a catapult&eacute;e porte-&eacute;tendard de la culture queer...

Un raccourci tragique, aussi le signe que cette conversation reste trop normalis&eacute;e. En tant qu&rsquo;artiste, je crois &agrave; la visibilit&eacute;. Hormis Testo junkie et les livres de Despentes ou Butler, je n&rsquo;ai pas lu, en grandissant, d&rsquo;interviews qui parlaient calmement de f&eacute;minisme, de fa&ccedil;ons de se d&eacute;finir. Aujourd&rsquo;hui, je m&rsquo;interroge sur l&rsquo;espace de libert&eacute; qui m&rsquo;a manqu&eacute; et que j&rsquo;aimerais installer. Mais je ne crois pas &ecirc;tre un porte-&eacute;tendard. Dans la palette infinie de ce qui peut se d&eacute;finir ou ne pas se d&eacute;finir comme queer, je ne vais pas prendre toute la conversation pour moi.

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Mais il faut bien que quelqu&rsquo;un en parle?

J&rsquo;ai peur que la mani&egrave;re dont cette conversation a &eacute;t&eacute; court-circuit&eacute;e et rendue impossible sur ce cycle d&rsquo;albums d&eacute;courage d&rsquo;en parler. J&rsquo;ai fait un disque et on me demandait : &ldquo;Alors, c&rsquo;est quoi le queer ?&rdquo; Les journalistes ne peuvent pas m&rsquo;investir de cette responsabilit&eacute;-l&agrave; ! D&rsquo;autant que cette conversation a lieu depuis vingt ans avec In Bed with Madonna, avec des artistes comme Annie Lennox ou Lizzy Mercier Descloux, qui &eacute;taient androgynes, lib&eacute;r&eacute;es, fluides... Mais &ccedil;a avance, les jeunes g&eacute;n&eacute;rations sont plus &eacute;duqu&eacute;es, sur la question du f&eacute;minisme notamment.

"Des meufs comme Aya Nakamura ou Angèle, qui fait des featurings avec Damso... Là aussi, ça se détend grâce aux nouvelles générations."

Costume en laine, KENZO.

Veste en laine, chemise en coton et tennis en coton, KENZO.

Manteau en matière technique, tennis en coton, KENZO.

Veste en laine et chemise en coton, KENZO.

CHRIS&nbsp;a jou&eacute; &agrave; Coachella &eacute;dition 2019&nbsp;et vient de sortir une nouvelle vid&eacute;o sur le titre &laquo; &nbsp;Comme si&nbsp;&raquo; 
Elle sera en concert &agrave; We Love Green le 1er juin

Chris : "J’essaie de raconter une autre façon d’être femme"

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