Mise en scène par New Material Research Laboratory, entreprise architecturale fondée par l’artiste contemporain Hiroshi Sugimoto et l’architecte Tomoyuki Sakakida, l’exposition “Cartier, Crystallization of Time” qui se tient actuellement à Tokyo jette un regard neuf et vivifiant sur la quintessence du style Cartier.

Le temps est la notion la plus malmen&eacute;e par le langage courant. On dit que le temps s&rsquo;&eacute;coule, que le temps passe. Or rien n&rsquo;est plus inexact. Les&nbsp;calendriers se p&eacute;riment, les minutes s&rsquo;&eacute;gr&egrave;nent, les existences se consument, les mouvements se succ&egrave;dent mais le temps, lui, est toujours l&agrave;&nbsp;: sa permanence atteste son immuabilit&eacute;. Il est assez singulier de constater que seuls les artistes, &agrave; mi-chemin entre la physique et la philosophie, ont r&eacute;ussi &agrave; nous faire appr&eacute;hender avec justesse cette nature extraordinaire du temps&nbsp;: cette quatri&egrave;me dimension qu&rsquo;ont d&eacute;fini, chacun &agrave; leur mani&egrave;re et dans leur domaine, quasiment &agrave; la m&ecirc;me &eacute;poque, Einstein et Proust. Pour comprendre cet &ecirc;tre de fuite que repr&eacute;sente le temps, pour capturer et en quelque sorte cristalliser sa substance, la maison Cartier a choisi la voie essentielle du dialogue et de la m&eacute;taphore. C&rsquo;est du moins la premi&egrave;re impression qui nous vient au c&oelig;ur et &agrave; l&rsquo;esprit en sortant de l&rsquo;exposition magistrale, tr&egrave;s justement baptis&eacute;e &ldquo;Cartier, Crystallization of Time&rdquo;&nbsp;qui&nbsp;d&eacute;veloppe actuellement ses magnificences et ses questionnements au National Art Center de Tokyo.&nbsp;300 pi&egrave;ces expos&eacute;es L&rsquo;exposition s&rsquo;articule en trois chapitres d&eacute;finis conjointement par New Material Research Laboratory, Yayoi Motohashi, conservatrice du mus&eacute;e d&rsquo;Art moderne fond&eacute; en 2007 &agrave; Tokyo, dans le quartier de Roppongi, et Pierre Rainero, directeur de l&rsquo;Image, du Style et du Patrimoine de la maison Cartier. Ces trois chapitres, auxquels sont allou&eacute;s des espaces d&eacute;di&eacute;s, mettent en lumi&egrave;re les sources de la cr&eacute;ativit&eacute; du joaillier. Celle-ci s&rsquo;exprime au travers des prismes suivants&nbsp;: la transformation des couleurs et des mat&eacute;riaux, les formes et les designs, les cultures du monde et l&rsquo;inspiration universelle. &ldquo;Cette exposition, insiste Cyrille Vigneron, pr&eacute;sident et CEO de&nbsp;Cartier International depuis 2016, n&rsquo;aurait pas pu voir le jour ailleurs.&rdquo; Ces principes fondateurs du&nbsp;style Cartier sont mis en&nbsp;sc&egrave;ne par le studio NMRL (New Material Research Laboratory)&nbsp;: une entreprise&nbsp;architecturale fond&eacute;e par l&rsquo;illustre artiste contemporain Hiroshi Sugimoto en collaboration avec l&rsquo;architecte Tomoyuki Sakakida. NMRL, conform&eacute;ment &agrave; sa vocation, a&nbsp;concili&eacute; l&rsquo;artisanat traditionnel, les techniques ancestrales remises au go&ucirc;t du&nbsp;jour, les mat&eacute;riaux imm&eacute;moriaux et les nouvelles technologiques afin permettre au visiteur de toucher du doigt l&rsquo;&acirc;me commune des 300&nbsp;pi&egrave;ces expos&eacute;es et la qualit&eacute; de vision qui les a pr&eacute;sid&eacute;es. Le seuil de l&rsquo;exposition donne clairement le ton&nbsp;: bord&eacute;e de deux imposants contrepoids en verre, une immense et &eacute;trange horloge, provenant de la collection personnelle de Hiroshi Sugimoto, accueille le visiteur. Son bo&icirc;tier a &eacute;t&eacute; noirci au feu, son m&eacute;canisme a &eacute;t&eacute; transform&eacute;&nbsp;: ses aiguilles tournent &agrave; l&rsquo;envers &ldquo;d&eacute;sorbitant&rdquo; ainsi la course du souvenir et de la chronologie. Le temps, nous rappelle NMRL, est relatif, diff&eacute;rent pour chacun. La&nbsp;seconde d&eacute;cisive qui fait palpiter les c&oelig;urs dialogue ici avec les millions d&rsquo;ann&eacute;es n&eacute;cessaires &agrave; la formation&nbsp;des&nbsp;pierres pr&eacute;cieuses. Une&nbsp;grande salle t&eacute;n&eacute;breuse sert de prologue&nbsp;: du plafond se d&eacute;roulent jusqu&rsquo;au sol des &eacute;toffes moir&eacute;es et transparentes qui ont &eacute;t&eacute; confectionn&eacute;es par &nbsp;Kawashima Selkon Textiles, &eacute;minente manufacture de Kyoto, connue pour ses collaborations avec la maison imp&eacute;riale. Tout en les voilant de sacr&eacute;, elles encadrent des pendules myst&eacute;rieuses dont certaines appartiennent &agrave; la&nbsp;collection du palais princier de Monaco. Car &ndash;&nbsp;et c&rsquo;est une premi&egrave;re&nbsp;&ndash;, plus de la moiti&eacute; des pi&egrave;ces pr&eacute;sent&eacute;es ont &eacute;t&eacute; pr&ecirc;t&eacute;es par les clients et les&nbsp;collectionneurs. La plupart d&rsquo;entre elles n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; expos&eacute;es. C&rsquo;est &eacute;galement la&nbsp;premi&egrave;re fois que la maison Cartier offre au regard un si vaste floril&egrave;ge de cr&eacute;ations contemporaines&nbsp;: les quatre derni&egrave;res d&eacute;cennies de la production Cartier sont tr&egrave;s largement repr&eacute;sent&eacute;es. 
 
Panth&egrave;re et crocodiles&hellip; 
On retrouve ainsi au fil des salles des figures connues&nbsp;: les chefs-d&rsquo;&oelig;uvre de la collection &ldquo;Al Thani&rdquo;, les parures du maharadjah de Nawanagar, le&nbsp;&ldquo;Tutti Frutti&rdquo; de Madame Cole Porter, celui de Daisy Fellowes, les bracelets en cristal de roche de Gloria Swanson, la fameuse broche panth&egrave;re appartenant &agrave; la duchesse de Windsor avec son&nbsp;imposant saphir cabochon de 252&nbsp;carats, les colliers crocodiles de Maria&nbsp;F&eacute;lix. Certains pr&ecirc;teurs ont bien voulu que leurs noms soient publi&eacute;s sur les cartels, d&rsquo;autres ne l&rsquo;ont pas souhait&eacute;. Globalement, les indications sont sobres, minimales. Il&nbsp;ne&nbsp;s&rsquo;agit pas ici de multiplier les&nbsp;successions de dates, les rep&egrave;res historiques et les r&eacute;f&eacute;rences culturelles mais plut&ocirc;t de provoquer des ph&eacute;nom&egrave;nes de r&eacute;miniscence, d&rsquo;initier des exp&eacute;riences sensorielles, de faire comprendre au spectateur que&nbsp;la qualit&eacute; de vision est le&nbsp;produit conjugu&eacute;, anachronique et atemporel, de&nbsp;la m&eacute;moire et de l&rsquo;imagination. Les cr&eacute;ations contemporaines sont mises en regard avec les pi&egrave;ces anciennes. Leurs architectures, tour &agrave; tour g&eacute;om&eacute;triques ou organiques, d&eacute;licates m&ecirc;me lorsqu&rsquo;elles s&rsquo;inspirent de l&rsquo;accident, harmonieuses m&ecirc;me lorsqu&rsquo;elles expriment le chaos, &eacute;mouvantes m&ecirc;me lorsqu&rsquo;elles auscultent le quotidien, se r&eacute;pondent dans un dialogue f&eacute;cond et nourricier. Une vague scintillante de diamants propage ses ondulations hypnotiques avec une &eacute;gale pertinence sur une plaque de&nbsp;cou et un bracelet. Et&nbsp;pourtant, un si&egrave;cle s&eacute;pare les deux ornements. La plaque de cou a &eacute;t&eacute; con&ccedil;ue en 1903, le bracelet en 2014. Un motif foug&egrave;re couch&eacute; sur un carnet de dessins provenant des archives de Louis Cartier prosp&egrave;re quelques m&egrave;tres plus&nbsp; loin sur une broche en platine, tout en rejaillissant ailleurs sur un kak&eacute;mono de l&rsquo;&eacute;poque Heian.

Souffles de l&rsquo;Histoire 
La sc&eacute;nographie imagin&eacute;e par NMRL accorde une grande place aux mat&eacute;riaux &eacute;vocateurs choisis pour leur puissance tellurique. Sur des roches d&rsquo;origine volcanique reposent des vitrines en acier rouill&eacute;&nbsp;: elles semblent toutes pr&ecirc;tes &agrave; vivifier de leur &eacute;nergie magmatique les lignes essentielles qui ont fortifi&eacute; la&nbsp;grammaire stylistique de&nbsp;Cartier. Le bois de cypr&egrave;s, symbolisant la vie &eacute;ternelle dans l&rsquo;antiquit&eacute; grecque, offre&nbsp;son doux poli aux bustes fa&ccedil;onn&eacute;s par ces m&ecirc;mes artisans, ces bushis qui sculptent habituellement les bouddhas du Japon. Ces bustes composent des vitrines aux allures de sanctuaire shinto o&ugrave; les bagues ressemblent parfois &agrave; des architectures miniatures &eacute;chou&eacute;es sur du bois flott&eacute;. Le&nbsp;c&egrave;dre du Japon, le sugi, dont la silhouette conique orne habituellement en majest&eacute; l&rsquo;entr&eacute;e des temples et des oratoires, offre toute la surface d&rsquo;expansion n&eacute;cessaire &agrave; l&rsquo;exaltation d&rsquo;une virtuosit&eacute; joailli&egrave;re. Des pierres hors normes, telles que l&rsquo;&Eacute;toile du Sud, reposant sur une planche datant du f&eacute;odal Shogunat de Kamakura, confrontent leur cristallisation min&eacute;rale l&eacute;gendaire aux souffles de&nbsp; l&rsquo;Histoire repr&eacute;sent&eacute;s par un sceptre vajra et un rouleau thangka de la culture bouddhiste tib&eacute;taine. Galvanis&eacute;s par cette sc&eacute;nographie qui entrem&ecirc;le avec d&eacute;lice les fils des si&egrave;cles, des registres et des tendances, certains visiteurs s&rsquo;amusent &agrave; dater, &agrave; l&rsquo;aveugle, certains bijoux. Souvent ils se trompent de plusieurs d&eacute;cennies&nbsp;: ce collier couronn&eacute; de cabochons gourmands, dont les courbes pures et langoureuses accueillent un pelage f&eacute;lin compos&eacute; d&rsquo;onyx, a-t-il &eacute;t&eacute; produit dans les ann&eacute;es 1970 ? 1980 ? Cette ann&eacute;e ? Non, indique le cartel&nbsp;: c&rsquo;est une cr&eacute;ation de Jeanne Toussaint &ndash;&nbsp;c&eacute;l&egrave;bre directrice de la cr&eacute;ation de la Maison qui, par ailleurs, avait fait de la panth&egrave;re son animal f&eacute;tiche&nbsp;&ndash; produite durant les ann&eacute;es&nbsp;1930. La vision d&eacute;fie les d&eacute;cennies. Elle est intemporelle sans &ecirc;tre immobile. Et soudain, on se rend compte que la grande force de cette exposition, au-del&agrave; de la manifestation &eacute;vidente d&rsquo;une maestria unique, c&rsquo;est de dessiner en creux, &agrave; la mani&egrave;re des intailles, des pi&egrave;ces expos&eacute;es et des th&egrave;mes &eacute;tudi&eacute;s, le portrait id&eacute;al de la femme Cartier&nbsp;: une femme capable, quels que soient son temp&eacute;rament et sa sensibilit&eacute;, de recueillir et de faire fructifier, avec une aisance &eacute;gale, l&rsquo;air du temps et l&rsquo;essence de l&rsquo;&eacute;ternit&eacute;.

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