Vous ne pourrez certainement jamais vous payer les sneakers Apple
Compter 30000 dollars pour une paire de baskets en cuir blanc, taille 43. D’aucuns diront que c’est cher payé. On se gardera bien de les contredire. Avec une somme pareille, les mordus de sneakers, et ils sont nombreux, feraient imploser leur armoire de quelque 300 Air Max, 400 Stan Smith ou 700 Reebok Classic.
30 000 dollars, c’est pourtant la valeur estimée du lot 77001, mis aux enchères en juin dernier par la maison de vente texane Heritage Auctions, dans le cadre de sa vente online événement The Future is Now, aux côtés de reproductions des Air Mag de Retour vers le futur et autres items iconiques de la pop culture. La particularité de cette paire de baskets en cuir blanc ? La pomme croquée aux rayures arc-en-ciel sur sa languette et les cinq lettres brodées sur son aile: “Apple” ou les armoiries de la Silicon Valley. Un Graal pour tout bon geek qui se respecte, à condition de pouvoir franchir la barre fatidique des 15 000 dollars de mise de départ.
Le modèle, déniché l’an dernier au hasard d’un vide-grenier de la baie de San Francisco, est l’un des deux prototypes présumés produits par Adidas à la demande de Steve Jobs dans les années 1990 et destinés alors aux seuls employés de la firme de Cupertino. En quelque sorte, la collab’ de la mort qui n’a jamais vu le jour. “La popularité insensée du moindre produit Apple ne fait aucun doute, mais cette passion pourrait bien être concurrencée par l’appétit vorace des collectionneurs de sneakers”, a indiqué dans un communiqué Leon Benrimon, directeur du département Art moderne et contemporain chez Heritage Auctions, comme pour justifier l’estimation faite par StockX, la Bourse du streetwear, avant d’ajouter : “Cette paire est ultrarare et son histoire démente. Le fait qu’elle ait été produite lorsque Steve Jobs dirigeait Apple la rend encore plus désirable et cotée.”
En 2007, une paire identique, sa jumelle assurément, avait fait surface une première fois sur eBay, dans une annonce où l’on pouvait lire : “Chaussures Apple Computer légèrement usées mais en bon état [...], si vous êtes en
train de les regarder alors vous savez que vous n’en avez jamais vu de pareilles ni n’en verrez jamais.” Raté. À l’époque, elles s’arrachent à 79 dollars. Dix années et on ne sait plus très bien combien d’iPhone plus tard, leur valeur aurait donc été multipliée par près de 400 ! Sur le web, les produits dérivés Apple sont légion, suscitant la convoitise d’une armée de dèles sans cesse à l’affût de la bonne affaire, ou pas. Ici, un parapluie à 399 dollars ; là, une cravate à 275 dollars ; ou, plus abordables, des mugs, af chés à 35 dollars pièce sur eBay. Une overdose de licences plus ou moins bien maîtrisées qui prend sa source quelque part dans les années 1980, lorsque l’enseigne, pas encore remise de sa guerre des chefs, décide d’élargir son champ de compétences. Pour l’anecdote, lorsque Steve Jobs recrute John Sculley, ex-Pepsi, en 1983, avec cette question, entrée dans les annales : “Vous comptez vendre de l’eau sucrée toute votre vie ou vous voulez changer le monde avec moi ?”, il ignore que les manœuvres de ce dernier le pousseront vers la sortie seulement deux ans plus tard. En 1986, alors seul maître à bord, Sculley, qui avouera par la suite ne pas savoir grand-chose des ordinateurs, n’a qu’un seul objectif : relancer coûte que coûte la machine en déclenchant des projets tous azimuts.
Pour tester le degré d’addiction de sa communauté, la marque va inaugurer pour l’automne-hiver 86-87 une ligne complète de vêtements et d’accessoires pour hommes, femmes et enfants. Ressurgi des limbes d’internet il y a quelques années, le catalogue, sobrement intitulé The Apple Collection, 1986, référence aussi, pêle-mêle, la première Apple Watch (pas encore connectée), un couteau suisse, un semi-remorque miniature, un kit de voyage, une visière de tennis, une planche de Windsurf... Une série d’articles plus kitsch les uns que les autres, tous affublés de la fameuse pomme croquée arc-en-ciel. La collection de prêt-à-porter est un flop, à tel point qu’Apple nous a épargné l’étape podium, mais elle reste l’illustration parfaite de ce que la marque a su faire de plus osé et certainement de pire en matière de branding. Aujourd’hui, on hésiterait pourtant à crier au génie en voyant certains de ces looks, normcore avant l’heure. Reste que cette collection Apple de 1986 pourrait bien déchaîner les passions dans les salles des ventes. De quoi inciter à la plus grande vigilance lors de futures errances digitales.