Hommes

Viggo Mortensen : "Je me fie à mes instincts autant que possible"

Pudique, fin, sensible : Falling, le premier long-métrage réalisé par Viggo Mortensen, ressemble à l’idée que l’on se faisait de son auteur. Il sort enfin au cinéma en 19 mai. L’occasion de (re)lire l’entretien que l’immense Viggo Mortensen avait accordé à L’Officiel Hommes à l’automne 2020. Échanges avec un acteur rare, donc précieux. 

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Photographie par Quentin de Briey
Stylisme par Simonez Wolf

Falling est, littéralement, l’histoire d’une chute – celle d’un homme, Willis (Lance Henriksen, sensationnel de nuances) frappé par une maladie neuro-dégénérative. Le film remonte patiemment le fil du temps, depuis l’enfance de son fils, John (Viggo Mortensen), jusqu’à l’âge adulte, en passant par l’adolescence, ne cherchant jamais à rendre aimable un personnage foncièrement détestable – homophobe, vaguement raciste (à ce titre, le couple que John forme avec son compagnon Eric le hérisse particulièrement) –, mais juste à représenter son humanité dans sa complexité, à filmer les mal- aimables qui aiment mal. Avec beaucoup de délicatesse, Mortensen raconte autant la détresse devant la maladie que la vie qui persiste – ordinaire, prosaïque, tendre.

 

L'Officiel Hommes : Le récit adopte un rythme très contemplatif, il avance avec beaucoup de douceur. C’était un choix dès l’écriture ou qui s’est imposé au tournage ?

Viggo Mortensen : Le rythme et le recours aux silences dans certaines scènes ont été dictés à la fois par l’histoire elle-même, sa dimension plastique, le mixage du son, sa cadence, et par ce qui s’est imposé au montage. Les réactions non-verbales des personnages, notamment pour le rôle de Willis (interprété par différents acteurs, selon la séquence chronologique du récit, ndlr) étaient aussi importantes que les dialogues. En ce qui concerne la musique, en tant que spectateur, je n’aime pas tellement lorsqu’elle m’indique explicitement ce que je suis censé ressentir ou penser. Bien avant le premier jour de tournage, je savais que Falling exigeait une musique discrète.

 

Comment avez-vous travaillé avec Marcel Zysking, le directeur de la photographie? Avec des moodboards très précis ?

Pas exactement. J’ai en effet partagé avec lui des photographies, que j’avais prises moi-même ou signées par d’autres artistes. Je lui ai aussi indiqué les quelques films dont l’identité visuelle me semblait rejoindre ce que j’avais à l’esprit pour Falling, en termes d’éclairage, de positionnements des caméras, de cadrages, etc. Nous avions une idée très précise de ce à quoi nous aspirions car, huit mois avant le début du tournage, et même avant que nous ayons trouvé les financements nécessaires pour faire le film, nous avions commencé à filmer dans les lieux où nous finirions par tourner. Cette étape a été cruciale: l’idée était de réunir des plans, tournés dans des zones rurales où se déroule le récit, à différentes saisons, pour les utiliser comme projections visuelles des souvenirs des protagonistes. Non seulement nous y sommes parvenus, mais cela nous a permis de faire connaissance professionnellement, et de réaliser que nos approches esthétiques se rejoignaient.

 

Quand et comment est né ce film ?

La première fois que j’ai voulu trouver le financement pour réaliser un film que j’avais écrit, c’était il y a vingt- quatre ans. Depuis, j’ai tenté à de nombreuses reprises de monter des projets, avec d’autres scénarios que j’avais écrits. Il m’a fallu plusieurs tentatives, et quatre ans, pour donner vie à Falling. Cette histoire m’est venue après l’enterrement de ma mère. J’ai voulu me replonger dans les souvenirs que je gardais de sa relation avec mon père, et de l’éducation que nous avions reçue avec mes frères. Si Falling est mon premier film, c’est parce qu’il s’agit du premier que j’ai réussi à faire financer.

 

De quels cinéastes, parmi tous ceux et celles avec qui vous avez travaillé, pensez-vous avoir le plus appris ?

J’ai eu l’immense chance d’avoir été à très bonne école avec d’excellent(e)s cinéastes, et d’avoir appris beaucoup des films dans lesquels je ne jouais pas. Je pourrais citer des dizaines d’exemples de scénarios, de direction artistique, d’éclairage, que j’ai admirés, ou détestés. Bien que je n’aie jamais consciemment imité le travail ou le style de qui que ce soit, je pense que tout ce que j’ai vu au cours de ma vie a forcément influencé ma façon de raconter des histoires. Mais il y a trois aspects de méthodologie que j’ai adoptés: préparer le tournage aussi soigneusement que possible et autant en amont que possible; rester à l’écoute des suggestions de la part de l’équipe et de la distribution; et être présent tout au long du montage.

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Avez-vous demandé conseils aux réalisateurs et réalisatrices avec qui vous avez travaillé ?

J’ai fait lire le scénario à certains. Et à un ami éditeur. Je voulais avoir un retour sur ce qui marchait, ou pas, en termes de structures et de rythme narratif. Heureusement, il leur a plu, et j’ai reçu quelques avis qui m’ont permis de l’affiner.

 

Qu’attendez-vous, en tant qu’acteur, sur un plateau ? Une direction d’acteur très ferme ou laissant plus d’espace et de liberté ?

J’aime les cinéastes qui arrivent extrêmement bien préparés, et savent ce qu’ils veulent, mais qui ont aussi assez confiance en eux pour rester à l’écoute des remarques de l’équipe.

 

Vous-même, sur le plateau de Falling, comment vous comportiez-vous ?

J’ai essayé de m’adapter aux besoins de chacun. Naturellement, les acteurs les plus jeunes avaient besoin de directives plus explicites, mais j’ai tenu à leur permettre d’être libres.

 

Vous écrivez de la poésie, composez de la musique. Est-ce que vous tenez à ne pas vous cantonner à un seul champ d’expression artistique ?

Je n’ai jamais considéré qu’être acteur était une forme d’art étrangère aux autres. Écrire, faire des photos, réaliser, composer de la musique... sont des langages différents qui, selon moi, entretiennent un rapport entre eux. Ce sont les branches d’un même arbre.

 

Un aspect du film m’a beaucoup frappé : il ne porte aucun jugement sur le personnage de Willis, qui est pourtant odieux. Il m’a fait penser à ces vers de Leonard Cohen: “And the dealer wants you thinking/That it’s either black or white/Thank God it’s not that simple/In my secret life.” Est-ce que vous y reconnaissez votre démarche ?

Oui. Personne n’est réductible à une seule dimension. Quand je prépare un rôle, que ce soit comme acteur ou comme auteur, je cherche toujours à en faire ressortir les contradictions qui caractérisent n’importe qui.

 

Est-ce que votre filmographie représente votre biographie ?

Nous sommes définis par les choix que nous faisons au quotidien; j’imagine donc que les rôles que j’ai choisis et la façon dont je les ai interprétés appartiennent à mon évolution personnelle, à mon histoire. J’aimerais m’aventurer à dire, cependant, que la façon dont j’interagis avec les autres et dont je les traite, le degré de courtoisie et de respect que j’accorde à chaque personne que je rencontre, dans le cadre privé ou professionnel, est le critère le plus important pour évaluer mon évolution.

 

Que cherchez-vous dans un rôle ? Vous y retrouver ? Ou, à l’inverse, y découvrir quelque chose qui vous est totalement étranger ?

À l’origine, je n’essaie pas de me retrouver dans un personnage, mais plutôt de trouver une histoire qui m’intéresse, et que j’aurais aimé voir en tant que spectateur. Une fois que j’ai accepté un rôle, j’essaie de trouver une connexion pour l’exploiter, et accentuer, le cas échéant, un trait de mon caractère, si cela peut contribuer à l’élaboration de mon rôle. Par principe, il n’y a aucun personnage que je ne m’imaginerais pas jouer. Chaque rôle que je joue implique de distinguer un point commun, même infime, avec moi. Le reste du travail repose sur mon imagination, à laquelle je ne fixe aucune limite.

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Avez-vous une méthode de travail d’avant de commencer un tournage ?

Je me pose une question sur mon personnage qui peut déboucher sur une multitude de réponses: “Que s’est-il passé dans la vie de ce personnage avant la première page de ce scénario?”

 

Vous n’êtes pas présent sur les réseaux sociaux, à une époque où c’est peu commun... 

Il n’y a pas assez d’heures dans une journée, je n’ai donc aucune intention d’ajouter une nouvelle activité que je trouve frivole la plupart du temps. Mes jours sur terre sont déjà assez occupés pour ne pas les lester d’une dépense d’énergie chronophage.

 

Avez-vous des modèles vous guidant dans votre carrière ?

Je me fie à mes instincts autant que possible, et si je peux me le permettre, j’attends de trouver la bonne histoire. Je n’ai aucune idée préconçue, ni de genre, ni de nationalité, ni de budget, sur ce qui peut m’intéresser...

 

Est-ce que vous considérez qu’en tant qu’artiste vous avez un devoir de prendre la parole pour défendre telle ou telle cause ?

Je suis un être humain et un citoyen du monde. En tant que tel, j’ai autant le droit, ni plus ni moins, que n’importe qui d’autre de m’exprimer sur tel ou tel sujet, et quoi que l’on pense de mon degré d’expertise ou de pertinence.

 

Quelles scènes, au théâtre ou au cinéma, vous ont durablement marqué ?

Il y en a beaucoup trop pour les citer. Pendant le confinement, j’ai revu beaucoup de films que je n’avais vus depuis longtemps. Certains que j’avais aimés il y a des années me plaisaient toujours autant, si ce n’est plus, et d’autres, moins. Du coup, je crois que ce qui m’inspire évolue, ou plutôt que j’évolue de telle façon que les moments qui me font forte impression ne sont plus nécessairement les mêmes.

 

Quels sont les films, livres et disques qui vous ont récemment plu ?

Burning the Books de Richard Ovenden, dont j’ai beaucoup appris, tout comme All For Nothing (Schluss! en français) de Walter Kempowski et d’Apeirogon de Colum McCann. Revoir Une Journée particulière d’Ettore Scola, Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais, L’Atalante de Jean Vigo et Les Saints Innocents de Mario Camus, était un vif plaisir. J’ai beaucoup écouté le pianiste de jazz Bill Evans, le trompettiste Ibrahim Maalouf, la pianiste Martha Argerich et le groupe Skating Polly.

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Hairstylist Fidel Fernandez
Assistante photo Achraf Issami
Assistant styliste Maya Valere-Gille

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