Hommes

Les entraîneurs sont-ils les nouvelles muses ?

En troquant le survêtement pour le costume, les entraîneurs de foot ont-ils tout perdu ? Aujourd’hui, les coachs sportifs sont des gravures de mode dans leurs complets-veston cintrés et leurs souliers vernis. Comme si le style était à présent devenu une nouvelle forme de management. Plongée dans le nouveau dress code des bancs de touche.
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Texte par Bruno Godard

"J’ai connu des coachs en survêtement que je respectais énormément. Aujourd’hui, mon entraîneur porte de jolis costumes et, pourtant, je pense que c’est un vrai baltringue !" La remarque de ce grand joueur de Ligue 1, qui tient à rester anonyme (dans le foot comme au CM2, la règle "pas les affaires et pas les mères" est toujours appliquée), mérite débat. Non, pour un coach, le port du costume n’est pas un gage de talent. Et pourtant, cet international doit être un cas à part, sinon les entraîneurs ne seraient pas presque tous devenus des gravures de mode, alors qu’un bon vieux survêt’ est bien plus confortable quand on s’asseoit sur un banc de touche.

Pour comprendre cette rébellion vestimentaire, il faut s’éloigner du terrain et aller chercher du côté des intellectuels. Le philosophe français Robert Redeker, dans son essai L’Emprise sportive (François Bourin Éditeur), va jusqu’à rapprocher la nouvelle tenue des coachs à celle de gourous. "Les méthodes de mise en condition des sportifs ressemblent à celles des sectes, écritil. […] Dans ce genre d’affaires, l’habit fait le moine. Pour que les âmes soient sous emprise, pour les impressionner, il faut le costume adéquat."

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L'entraîneur Aimé Jacquet, peau avant la victoire des Bleus. Et l'un des derniers irréductibles du survêtement.
Roberto Macini, alors entraîneur du FC International Milan. Le playboy italien déjà depuis longtemps remisé son survêt' au placard.

The medium is the message

Du coup, depuis le milieu des années 1990 et l’explosion du foot business, tous les coachs ou presque ont abandonné le combo survêt’baskets qui n’est plus réservé qu’aux entraînements de la semaine, loin des caméras. Les soirs de match, ils piochent dans les tenues chic du club ou dans leur collection perso de costumes ajustés et de chaussures lustrées. Et pas seulement pour le chic et le glamour. Auparavant, les coachs étaient avant tout des éducateurs. Aujourd’hui, ce sont des people comme les autres, et aussi des cadres dirigeants qui utilisent l’habit pour faire passer des messages. En 2012, l’université de Portsmouth a mené une étude scientifique pour savoir si la tenue d’un coach pouvait avoir un impact sur les directives qu’il tente de faire passer à ses joueurs. D’après les résultats obtenus, le coach qui portait un costume chic sur le bord du terrain captait davantage l’attention de son équipe. Pour les chercheurs, les footballeurs voyaient, dans ce vêtement, des qualités de stratèges qu’ils ne ressentaient pas dans le survêtement. Et surtout, une autorité et un charisme qui leur faisaient suivre davantage les consignes données. "Depuis dix ans, beaucoup de coachs restent debout pendant le match, explique la styliste Camille Nogues. Du coup, on voit plus leurs vêtements, leur allure, et ils pensent sans doute que cela a un impact sur leurs joueurs." Les mauvaises langues diront que Raymond Domenech, qui portait pourtant toujours un costume, est à la stratégie ce que Christophe Maé est à la musique pop. Mais une chose est sûre, les coachs de 2017 ressemblent plus à des banquiers d’affaire qu’à des profs d’EPS, même si une poignée d’entre eux ne veulent pas céder aux sirènes de la coolitude.

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Révolte dans les vestiaires


Marcelo Bielsa, l’ancien entraîneur de Marseille, est le symbole de ces résistants. Sauf que, lui aussi, use de l’habit comme d’une arme de communication. "Quand il était à l’OM, il portait le jogging du club pour prouver son appartenance à une histoire, explique Camille Nogues. Il disait aux Ultras marseillais : “Regardez, je suis comme vous !” Il gagnait 300 000 euros par mois, mais il le faisait oublier en montrant son humilité par l’habit." À l’opposé de son président de l’époque, Vincent Labrune, un quadra toujours tiré à quatre épingles, le technicien argentin a su vendre une belle histoire au peuple du Vélodrome. Une méthode inventée par Guy Roux, le plus célèbre des entraîneurs français de l’Histoire. Dans les années 1990, on disait de lui qu’il était le plus gros contribuable du département de l’yonne, mais il apparaissait toujours dans un jogging informe, coiffé d’un bonnet ridicule. Les pieds dans des sacs en plastique pour se protéger du froid, il incarnait le "football des champs" contre le football mondialisé qui commençait à tout envahir. L’escroquerie fonctionnait à merveille. "Quand on le voit, aujourd’hui, avec ses blazers croisés à boutons dorés, on peut affirmer qu’il a eu raison de vivre en jogging, tempère Camille Nogues. C’était sans doute un choix tactique, mais le jogging est également un bon cache-misère…"

Faire corps avec ses hommes


Avec l’explosion du sport business, tous les sports n’ont pourtant pas cédé à la mode. Dans le rugby, rares sont les costumes, sauf en sélection où les coachs siègent en tribune. En championnat, la tradition impose le port du survêtement du club. Les arcades sourcilières sautent comme des bouchons de champagne, le sang coule, la boîte à gifles peut s’ouvrir à tout moment, l’entraîneur, pour faire corps avec ses hommes, doit avoir une tenue qui permet les mouvements souples et ne craint pas les taches. Sur les courts de tennis, sport chic et glamour par excellence, aucun coach n’arbore un costume. "Ils n’ont aucun mérite car en portant un polo, c’est difficile de faire une faute de goût", précise camille nogues. En natation également, les costumes griffés restent au vestiaire. il faut dire que la fréquentation d’une piscine olympique passe par le port de claquettes et que la chaleur moite impose un coton léger. Le chic et la coolitude ont leurs limites. Et franchement, c’est une chance, car personne n’a envie de voir Philippe Lucas, trop gros pour son Armani à rayures.

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André Villas-Boas, en 2013, entraîneur du Zénith Saint-Pétersbourg et gravure de mode revendiquée.
Guy Novès, alors entraineur du Stade Toulousain, jamais converti au pantalon à pinces sur le terrain.
José Mourinho, entraîneur de Manchester United... et défenseur du port du costume sur le terrain.
Guy Roux, l'entraîneur d'Auxerre en 2003.

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