Hommes

Benjamin Benmoyal, le roi de la bande

Fort d’une technique de tissage utilisant des bandes magnétiques de vieilles cassettes, Benjamin Benmoyal lance sa marque éponyme en 2020. Il rembobine pour nous le fil de son histoire singulière.

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À l’écouter, sa vie est un roman. Né de père marocain et de mère égyptienne, élevé entre Paris et Tel-Aviv, ce Franco-Israélien de 31 ans a déjà à son actif dix ans de péripéties, dont les épisodes s’entrecroisent aussi vite que des rubans sur un métier à tisser, technique ancestrale revisitée par ses soins et dont il a fait l’étonnant ADN de sa marque.

Tout commence le 27 août 2013 : il est admis à Central Saint Martins à Londres après avoir préparé son portfolio sur un lit d’hôpital – où il se remettait d’un accident survenu lors de son service militaire obligatoire dans les commandos parachutistes. À dire vrai, ses parents le voyaient plutôt devenir médecin, ou avocat; lui avait choisi l’ingénierie aéronautique. Et pourtant. “Le 2 septembre, j’étais à Londres, explique Benjamin Benmoyal, fasciné par la liberté, la légèreté et l’insouciance qui à mes yeux régnaient dans cette école. J’avais 22 ans, c’était un vrai choc, je voulais en faire partie!” Après quatre ans d’études et de stages chez Hermès et Alexander McQueen, il prend une année de césure et décide, à 26 ans, de lancer sa marque. Ses indemnités de l’armée ayant servi à financer ses études, il crée avec ce qu’il a sous la main : des bandes magnétiques de cassettes audio et VHS, qu’il tisse lui-même à longueur de journée et garde en souvenir. “Je n’avais aucune formation, et surtout aucune solution pour industrialiser le procédé. En 2018, je décide de reprendre une deuxième année sabbatique pour me former pendant six mois au métier de tisserand dans le sud de Londres. Mais je n’avais toujours pas la réponse à mon autre problémat- ique! Décidé à trouver le moyen de développer le tissu, je prends un billet pour Paris, direction le Salon Première Vision, où je frappe à toutes les portes, sans succès. La seule qui ait trouvé le temps de m’écouter était Eve Corrigan, qui dirige Malhia Kent, la référence mondiale en matière de tissage. Mon projet lui plaît et elle accepte de m’aider au développement pendant trois mois, gratuitement.” Retour à Londres avec ses “tissus cassette” pour une dernière année d’étude, sans plus un sou en po- che, et endetté auprès de l’école. Acculé, il postule au Grand Prix Scholarship LVMH, qu’il remporte! Avec la dotation, il monte son entreprise et se met au travail, non sans avoir pensé à rembourser sa dernière année d’étude! “Le tissage est devenu ma passion. Je travaille sur des métiers vieux de 150 ans, lourds de 2 tonnes, c’est fascinant. Et puis c’est l’ancêtre du code binaire. Je connais mes armures par cœur, les sergés, les plain wave, personne ne peut me concurrencer, et je bosse toujours avec Malhia Kent! Le développement que nous avons réussi ensemble est un vrai challenge industriel, car un fil de cassette, c’est plat. Aujourd’hui, en deux semaines, je peux obtenir 1000 m de tissu.”

La toute première collection Benjamin Benmoyal est présentée à la presse et aux acheteurs en... février 2020. Quelques semaines avant les premiers confinements. “J’ai eu le nez creux! Le pire timing, le KO technique! Honnêtement, si c’était à refaire, j’hésiterais. J’avais tout donné, tout organisé, tout dépensé, sans compter que je pensais être psychologiquement blindé. Ma vie a basculé en deux semaines, et pourtant j’en avais fait des guerres! Annulation de toutes les commandes, alors que j’en avais lancé la production, sans avance des acheteurs. Ça s’est joué à 15 jours près. J’avais deux solutions : le dépôt de bilan ou le soutien d’un financier, que j’ai trouvé. Deux mois plus tard, j’étais à nouveau sur pied, je pensais que le covid allait faiblir, mais ça ne s’est pas passé comme prévu. Zéro sur la deuxième saison, aucun acheteur, personne n’achète en digi- tal une marque inconnue. J’avais heureusement fermé tous les robinets, et calculé que dans le pire des cas je pouvais tenir trois saisons. Minimum de frais, zéro employé, pas de salaire, pas de local... avec cinq mille euros, je faisais une collection. Puis l’hiver 2021 est arrivé, troisième collection, aucune vente. Et les confinements se sont succédé. J’ai fait le dos rond. Ça passait ou ça cassait.” Et c’est passé! Sept points de vente, puis quatorze, trente à ce jour, dans une quinzaine de pays (La Samaritaine, Le Printemps, Rent the Runway, Selfridges...), Benjamin Benmoyal est aujourd’hui sur tous les radars. Il a racheté ses parts dans la société, remboursé ses créanciers, son studio (il emploie une petite di- zaine de personnes) est hébergé à La Caserne et il s’est même acheté un appartement! Petit à petit, il s’éloigne des bandes magnétiques, qu’il garde seulement en empiècements, pour travailler d’autres matériaux qu’il développe en recyclant des tonnes de fils de stocks dormants des maisons de couture qu’il trouve chez Nona Source et via des agents en Italie. Il teste de nouveaux tissages, cette fois en jacquard, et de nouveaux imprimés exclusifs. La recherche-développement le passionne et puis, avoue-t-il, “ je veux commencer à me challenger”.

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