Hommes

Armie Hammer : "Je veux sortir de ma zone de confort"

Lorsqu’il est arrivé dans la campagne italienne, il était acteur, quand il en est reparti, c’était un artiste. Alors que “Call Me By Your Name” poursuit sa vie de film-événement, il nous raconte ce voyage intérieur.
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“J’éprouvais ce sentiment d’être un outsider, cette impression d’être un incompris, tout en projetant une image d’aisance et de confiance en moi pour donner le change.” Armie Hammer, 31 ans, acteur qui semblait promis à une carrière cantonnée aux films d’action, parle avec une franchise désarmante de son rôle dans Call Me by Your Name, l’un des films d’amour les plus chaudement salués par la critique de mémoire récente. Dans le film, réalisé par Luca Guadagnino, Hammer est Oliver, un étudiant américain en troisième cycle qui passe l’été en Italie. Sur place, il tombe amoureux du fils de son hôte, Elio, interprété par Timothée Chalamet*. Ou il serait peut-être plus juste de dire que c’est Elio qui tombe amoureux de lui, presque sur-le-champ, et passe le reste du film à lui faire la cour avec l’obstination qu’on ne trouve que chez les jeunes de 17 ans et chez ceux qui tombent amoureux pour la première fois – Elio correspond parfaitement à ces deux catégories. Le film de Guadagnino suit un tempo à la fois langoureux et poignant, dans l’attente d’une union qu’on espère inévitable. “C’est un masque... Mais il me paraît très authentique”, explique Hammer, évoquant la décontraction d’Oliver, sa façon de quitter chaque scène (principalement des dîners) avec un “À plus tard” nonchalant, qui agace et séduit à la fois ses hôtes européens et leur fils. “Je ne sais pas si c’est parce que j’ai déménagé tant de fois dans ma vie, ou parce que j’ai vécu dans tant de lieux différents – je changeais d’école un an sur deux... Je me suis très bien reconnu dans cette attitude.” C’est ainsi que Hammer parle aujourd’hui – ce n’est peut-être pas comme ça que nous le connaissons, mais c’est peut-être comme ça qu’il s’est toujours perçu. Nous sommes assis dans la cour du Chateau Marmont, le lieu qui ressemble le plus à une terrasse italienne à L.A. Il a un visage qu’on reconnaît, mais sans savoir nécessairement d’où : depuis son premier grand rôle dans The Social Network en 2010 (il interprétait les deux jumeaux Winklevoss), il a tenu l’un des premiers rôles dans Agents très spéciaux – code U.N.C.L.E, la farce d’espionnage sous-estimée de Guy Ritchie, et un rôle important dans Lone Ranger. Aucun de ces derniers films n’a particulièrement marqué les esprits, ce que Hammer a évoqué dans plusieurs interviews avec son sens de l’autodérision. Avec Call Me By Your Name, il semble que ce soit la première fois qu’on lui demande de jouer un vrai rôle, profond, à sa mesure. Comme dans le film, il est exceptionnellement grand et beau (en vrai, son 1,95 mètre n’est pas moins impressionnant). Cependant, il donne également l’impression d’avoir une vie intérieure tourbillonnante, peuplée de citations littéraires et d’éclairs d’introspection. Bien sûr, il était parfait pour Oliver qui, même s’il aime à faire un peu le clown en dansant et prodiguer des massages du cou, est habité d’une peur panique de tomber amoureux. À n’en pas douter, Hammer a trouvé le rôle un peu terrifiant la première fois que Guadagnino le lui a exposé – même si ce n’est pas pour les raisons que l’on pourrait supposer. Il rit : “Ce n’était pas le fait de jouer un personnage gay, pas du tout. Ça, je l’ai fait plein de fois, j’en ai joué presque autant que j’ai joué de personnages hétéros, en fait. Les personnages gay, ça ne me pose aucun problème.” Ce qui l’a fait hésiter, c’était la crudité émotionnelle du film : la vie intérieure des personnages allait totalement être mise à nu. “[Guadagnino] m’a dit que nous allions tourner la totalité du film avec le même objectif, de façon à ce que le spectateur ait l’impression de voir les scènes à l’œil nu, dit-il, grimaçant légèrement. Et ça m’a rendu un peu nerveux, parce que c’est intimidant, pour un acteur, de savoir qu’il n’a rien derrière quoi se cacher, et que si quelque chose ne fonctionne pas, le public risque de ne pas le suivre d’une scène à l’autre.” Guadagnino adore ces instants de grâce, comme les appelle Hammer, où un regard ou le contact d’une main dit tout. Les deux précédents films du réalisateur, A Bigger Splash et Amore, mettaient en vedette Tilda Swinton, la maîtresse du drame. Call Me by Your Name, à l’inverse, est d’un naturel presque insoutenable. En regardant le film, c’est comme si, vous aussi, vous vous retrouviez dans la petite ville italienne de Crema à l’été 1983. 

Un moment charnière

“Le cœur du film, explique Hammer, c’est l’honnêteté émotionnelle entre ces deux personnages, et le fait qu’il n’y a aucun effet : il n’y a pas de scène cruciale, rien qui ne fasse avancer les personnages, à part ces instants d’authenticité qui se produisent entre eux deux. C’était vraiment éprouvant. Je n’avais jamais fait un film si cru et si spontané.” Dans ce qui ressemble à une cour à rallonge, le réalisateur a apparemment persuadé Hammer d’accepter le rôle en le convaincant que “la peur et le désir sont frère et sœur, presque jumeaux, et il est normal qu’ils soient indissociables. Si vous avez peur de faire quelque chose, ça signifie que vous en avez envie, quelque part.” Hammer rit, démentant sa gravité. “C’est comme le vertige, si vous avez peur des hauteurs, ça veut dire que vous avez envie de vous jeter dans le vide, en n plus ou moins.” Le film, cependant, est remarquable par son absence de peur. Elio et Oliver tombent amoureux, et il y a des conséquences, certes, mais il ne se produit pas de catastrophe épouvantable – une rareté dans les films relatant une histoire d’amour homosexuelle (surtout si elle se déroule dans les années 80). “Il n’y a pas d’adversaire, personne ne tombe malade”, comme dit Hammer. C’était voulu de la part de Guadagnino, et l’acteur se rappelle en particulier d’une prise significative : “Il y a la scène où Elio se met à saigner du nez. Oliver va le trouver et lui demande si tout va bien. Dans la première prise, je l’ai jouée comme si j’étais vraiment très inquiet. Luca m’a interrompu : ‘Pourquoi tu joues ça comme ça ?’ Et je lui ai dit : ‘Eh bien, on est au début des années 80, c’est le début de l’épidémie, il y avait beaucoup de gens qui tombaient malades.’ Luca m’a regardé, interdit : ‘Ha, je n’y avais même pas pensé. Fais-le autrement.’ Donc il ne voulait même pas que ce soit présent, même sous la forme d’un bref tiraillement.” En fait, on dirait que s’il y a eu des moments douloureux durant le tournage du film, c’est hors-champ, lorsque l’équipe a réalisé que son été en Italie allait bien devoir nir un jour. “Luca et moi avons commencé à nous disputer, nous étions très en colère l’un contre l’autre, se rappelle Hammer. Et je n’ai compris que bien plus tard la raison de ces dissensions : je ne voulais pas que cette expérience arrive à sa fin.”
De toute évidence, le film représente un moment charnière dans la vie de Hammer. “J’ai eu la chance de connaître des amours d’été, des trucs très, très forts – je ne sais pas si c’était de l’amour ou des emballements, mais j’ai eu la chance de connaître ça, dit-il l’air habité, mais en un sens, ce film les a tous éclipsés. Le simple fait d’être là-bas, avec ces gens qui sont devenus comme une famille pour moi – et la promotion, qui dure maintenant depuis un an, car nous avons été sélectionnés à Sundance.” Le film a remporté un franc succès sur le circuit des festivals, nommé dans la catégorie du Meilleur film à la fois aux Golden Globes et aux Oscars. “C’est toute une odyssée, se remémore-t-il quand on lui demande s’il est important de gagner ou non. Si vous m’aviez posé la question une semaine avant la saison des récompenses, j’aurais dit ‘Absolument pas. La récompense ultime, c’est d’avoir eu la chance de faire le film.’ Si vous m’aviez posé la question après un mois ou deux de présentations, en revanche, j’aurais dit : ‘Oui, il faut qu’on gagne, il faut qu’on remporte ces prix.’ Et maintenant, comme l’alchimiste de Paolo Coelho, je suis revenu à notre point de départ, quand nous n’avions pas le sentiment d’avoir besoin d’un prix pour avoir l’impression d’avoir de la chance d’avoir fait le film.” 

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Adolescent aux Caïmans

Après les Oscars, l’aventure de Call Me By Your Name n’est pas terminée (il y aura une suite, ainsi que Guadagnino l’a évoqué). En attendant cette nouvelle équipée, Hammer a déjà tourné dans plusieurs autres projets. L’un d’entre eux, Hotel Mumbai, tourné juste après, parle des attaques terroristes de 2008 à Mumbai. Changement d’ambiance. “Je suis passé de la campagne italienne, où nous faisions du vélo torse nu, mangions des fruits et profitions du farniente, à des courses-poursuites avec des tireurs d’élite dans des couloirs d’hôtel, plaisante-t-il. Ça m’a fait un choc, c’est sûr.” Il affirme, cependant, que malgré l’accueil dithyrambique réservé à Call Me By Your Name, les propositions de rôle qu’il reçoit n’ont pas changé. “Je ne saurais pas répondre à cette question, affirme-t- il, lorsqu’on l’interroge sur l’effet du film sur sa carrière. Je peux vous le dire, parce que je n’ai rien appris des autres fois où j’ai connu des moments comme celui-ci.” On imagine effectivement qu’il a dû y avoir des ouvertures du même style après The Social Network et Agents très spéciaux – code U.N.C.L.E. “Je me disais : ‘Ah, les choses vont changer, maintenant. Ma carrière va vraiment décoller.’ Sauf que non, ça ne se passe jamais, jamais comme ça.” Hammer a l’air content du chemin sinueux qui l’a amené à son premier vrai grand rôle. Adolescent, il vivait dans les îles Caïmans, où son grand-père s’était fait un nom dans le pétrole. Comme on peut l’imaginer, ses parents n’ont pas sauté de joie lorsqu’il leur a annoncé, jeune homme, son ambition de devenir acteur, mais ils ont vite surmonté leurs appréhensions en constatant son sérieux : on peut difficilement imaginer plus dévoué à son art que lui. À l’école, on lui a dit que les rôles créés par des auteurs (comme Guadagnino) étaient le must pour un acteur, et il s’estime très chanceux d’avoir connu cette expérience. “Je voyais ça comme un défi , et je voulais vraiment être mis en danger en tant qu’artiste, révèle-t-il. Maintenant, à un dîner, si quelqu’un me demande : ‘Vous faites quoi dans la vie ?’, j’ai beaucoup plus de facilité à répondre : ‘Je suis artiste’ – je veux me mettre en danger, je veux trouver des choses qui me fassent sortir de ma zone de confort.” Même s’il n’habite plus dans les îles Caïmans, Hammer a toujours quelque chose d’un Robinson. Il est marié à la journaliste et présentatrice télé Elizabeth Chambers et ils vivent à L.A. “C’est un être extraordinaire, dit-il de sa femme, pour supporter les hauts et les bas inhérents de ma vie d’acteur. C’est vraiment les montagnes russes de vivre avec moi, en particulier dans la mesure où mon travail consiste à vivre dans mes émotions. Comme l’a dit l’écrivain Kurt Vonnegut, les acteurs sont comme les canaris dans les mines de charbon. Nous sommes si sensibles que tout nous affecte en premier.” 

Un mec baise un fruit, un autre le mange

Si sa propension à citer Vonnegut ne suffisait pas, précisons que Hammer est un peu plus torturé que ses dehors de jeune homme bien élevé nous l’auraient laissé supposer. “Et [Elizabeth] sait faire preuve d’une empathie incroyable lorsque c’est nécessaire.” Il fait un grand sourire. “Mais quand il le faut, elle n’hésite pas à me secouer : ‘Arrête ça maintenant. Reprends-toi.’” Sa relation de travail avec Timothée Chalamet, premier rôle ex aequo dans Call Me By Your Name, avec lequel il entretient un rapport fraternel, détendu hors caméra, a été aussi beaucoup commentée. “C’est l’un des rares acteurs avec qui je parle encore constamment après avoir tourné un film ensemble. C’est l’être humain le plus ouvert de l’univers. Ça pourrait lui jouer des tours, mais c’est aussi un don merveilleux qu’il offre au monde, parce qu’il laisse entrer l’autre, c’est pour ça qu’on arrive si bien à suivre son parcours émotionnel dans le lm.” Afin de construire cette alchimie, Guadagnino a fait venir ses acteurs en Italie trois semaines avant le tournage pour quelques heures de répétitions quotidiennes. “Mais le reste du temps, il voulait qu’on reste ensemble. ‘Allez faire du vélo, tous les deux. Prenez les vélos et allez boire un café.’” C’est ce qui a séduit les spectateurs découvrant le film. Jusqu’où faut-il remonter dans ses souvenirs pour retrouver un été qui a duré si longtemps, la dernière fois qu’on a fait du vélo, la première fois qu’on est tombé amoureux ? “En un sens, je me sentais tellement en sécurité sur le tournage – et si à l’aise avec Luca, Timmy, Michael, Amira, Esther, Victoire et tous les autres acteurs, médite-t-il, que le fait de m’ouvrir, de me rendre vulnérable, me semblait tout à fait naturel.” Il est vraiment formidable qu’un film si doux, si sensible suscite un tel enthousiasme public. “C’est vrai, quoi, en définitive – si l’on se place au ras des pâquerettes – on a fait un film où il y a un mec qui baise un fruit, et un autre mec qui mange le fruit. Alors je me disais que, peut-être, personne ne voudrait voir ça. Que c’était une chose que le public américain n’allait pas accepter. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça, car les gens ont été touchés de voir une telle célébration de l’amour au cinéma. Et le coup de génie de Luca a été de ramener le tout aux émotions humaines les plus élémentaires, si bien que quiconque, quelle que soit son orientation ou son identité sexuelle, peut se rappeler la première fois qu’il a éprouvé de tels sentiments.” Vous devinez sans doute que ces émotions à l’égard du film n’ont pas lâché Hammer. Il poursuit sur le thème de l’amour. “La première fois qu’on a été éperdument amoureux, ou la première fois qu’on s’est révélé et rendu vulnérable à l’autre, qu’on s’est dit : ‘Voilà qui je suis, et c’est toi que je veux.’” Là, c’est l’artiste Armie Hammer qui parle, celui qui est revenu métamorphosé de son été en Italie. “Et la première fois que l’autre reçoit vos sentiments et les partage. Ce sont des émotions que tout le monde comprend.” Pour ceux qui ne voudraient pas s’en défaire tout de suite, il existe un livre audio, dit par Hammer, cette fois dans le rôle d’Elio, narrateur du roman, et l’écouter, c’est un peu comme revivre toute l’histoire une seconde fois. “À chaque fois que je terminais une séance d’enregistrement, j’appelais Timmy et Luca et je leur disais : ‘Vous me manquez, les gars. Reparlons-en un peu. Retournons-y encore une fois.’” Si seulement il pouvait nous emmener avec lui.

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