Alexander Zverev : rencontre au Country Club de Monaco
Pour L'OFFICIEL, le tennisman allemand s’est prêté au jeu du shooting mode au Monaco Country Club. Récit.
Photographie PIERRE-ANGE CARLOTTI
Casting JENNIFER EYMÈRE
Stylisme PAUL HAMELINE
J’avais bêtement cru que ce serait l’aéroport de Monaco. Qu’il y aurait des douanes, un duty-free et un tampon sur mon passeport. Monte-Carlo en lettres d’imprimerie, l’encre d’un rouge qui bave, une petite preuve supplémentaire apportée au voyage et se sentir étranger chez soi, comme en novembre, absolument. J’y vais cru, mais je n’y avais pas pensé, sinon j’aurais su – un taxi vers Orly – Paris-Nice, c’est un peu plus cruel. Nous voilà quand même embarqués, Jen, Paul, Pierre-Ange et moi, vers le Sud ; il paraît qu’il fera beau, tout ça, je n’ai pas oublié ma brosse à dents et j’ai pris mon ordinateur. À l’aéroport, Pierre-Ange me briefe, car voilà, le tennis, je n’y connais pas grand-chose. Les jeux de boules, le billard, le flipper, la pétanque, j’aime plutôt. Les balles – le basket, le foot, le ping-pong, je n’y comprends rien. Si d’aventure un psychologue peut m’expliquer cette tendance, je suis preneur. Bref, Pierre-Ange, qui vient de changer son fond d’écran de peur que le tennisman ne s’y reconnaisse, m’explique que Zverev, prénom Alexander, surnom Sascha, est une star intersidérale. Allemand, d’origine russe, c’est le fils du joueur russe Alexander Mikhaïlovitch Zverev. Il a 25 ans, mesure presque deux mètres et je sais qu’il chausse du 46 et demi puisqu’on en parlait avec Paul, le styliste. Plus important pour sa carrière, Zverev intègre l’ATP en 2013 et remporte cinq tournois Masters 1000 : Rome (2017), Montréal (la même année), Madrid deux fois (2018 et 2021) et Cincinnati (2021). En 2018, il gagne le Masters en battant le numéro 1 mondial Djokovic, après avoir sorti Federer en demi-finale, comme on dit dans L’Équipe. Bref, le garçon est sérieux et ma plume ignorante ne serait pas vraiment à la hauteur de son palmarès si je devais parler sport. Qu’ai-je vu, alors ?
D’abord, on a dormi à l’hôtel, mais ça, ça nous regarde. Ensuite, le lendemain, on est allé au Country Club de Monaco. Ciel bleu de caricature, des types en short, plutôt sympas, qui fument en douce, une buvette façon restaurant des Baléares ou bar à chicha, comme on voudra, et les trois courts principaux, A, B, C, de droite à gauche quand on les voit d’en haut, la couleur de la terre battue, un orange qui serait un rouge et la mer en arrière-plan. Magie des articles, je ne peux que vous recommander la page Wikipédia de la terre battue. J’y ai appris, en vrac, que la Fédération française de tennis appelle cela une “surface stabilisée de confort” (ce qui ferait au passage un bon titre de recueil de poésie érotico-contemporaine), qu’on attribue sa création aux frères Renshaw à Cannes en 1880, et que la poudre rouge provenait au départ de poteries défectueuses de Vallauris avant qu’on ne broie des briques puisque ça devait, j’imagine, être plus commode. Il paraît que Pete Sampras ne s’y est jamais fait, lui, à la terre battue. Qu’importe, au Country Club, les couleurs envoient, ça fait des taches et des flashs, on reconnaît ceux qui jouent à leurs chaussures teintées et je me dis qu’il y a quand même moins chic com- me sport que le tennis, polo Lacoste et mimosa siroté après l’effort.
Avant l’arrivée de Sascha, on a fait des repérages avec Pierre-Ange. Enfin, Pierre-Ange a fait ses repérages tout seul et je l’ai suivi. Des escaliers, des terrasses, la baraque de Lagerfeld, en face, devant la mer, des salles de sport avec machines électroniques, une buvette encore, mais couverte cette fois-ci et déserte, une pièce dédiée au bridge, avec des gentilles tables carrées, feutrées, quatre chaises autour et tous les viocs qu’on imagine taper le carton, comme chez Somerset Maugham, les rivalités et les alliances. Un jour j’apprendrai le bridge, oui, c’est un objectif très sérieux, et je crois que ce jour-là, il ne pourra plus jamais rien m’arriver.
Après les salles et les couleurs, après la piscine et les faux rochers façon Brian De Palma, l’heure est venue. On s’est installés avec les fringues au sous-sol, dans les vestiaires des pros, d’après ce que j’ai compris. Déco d’inspiration soviétique, horloge Rolex et photos de tennisman encadrées, coupe en mains.
Zverev arrive à l’heure. En entrant dans la pièce, il fonce vers le mur du fond, décroche la photo de Tsitsipas et la planque derrière le comptoir, à gauche. Le message est clair. Nécessairement, on se marre. Zverev n’a pas l’air de rigoler, lui. Mais peut-être que je ne sais pas le lire encore. Bon, il y a une rivalité, ça ne m’étonne pas vraiment pour des types qui s’affrontent depuis qu’ils sont mômes, comme les pilotes de formule 1 qui se tiraient déjà la bourre en karting entre deux Tom-Tom & Nana. L’ambiance ne se tend pas vraiment, mais on frôle quelque chose – en gros, on se regarde tous dans le blanc de l’œil en se demandant comment va se passer la journée. Maquillage dans la petite salle attenante. En attendant, pour me donner une contenance, je touche les vêtements, commente les matières comme si j’y connaissais quoi que ce soit, j’essaie un teddy – pas mal. Pierre-Ange a aligné ses péloches, ses Contax, sur la table juste-là. Je le trouve sacrément organisé, rapide, précis. Je sais qu’il va rencontrer son idole, on en a parlé avant. Ça ne doit pas être simple de devoir photographier un type qu’on admire, un type qu’on a vu jouer, religieusement, devant sa télé ou dans les tribunes, cette année, la précédente, celle d’avant encore. Pierre-Ange connaît les dates des blessures, les scores des matchs, les stats, que sais-je, les classements et les trucs comme ça. Il est fan, absolument. Je le vois un peu inquiet, alors, nécessairement, avant que ça ne commence. De ce que j’ai compris, Zverev a une réputation, des colères en plein jeu, des coups de raquette, ce genre de choses. Il n’a pas joué aussi, depuis plusieurs mois, après s’être blessé à Roland-Garros en affrontant Nadal. Bref, on ne sait pas trop à quoi s’attendre et je crois que si je me trouvais à la place du photographe, je ne ferais pas le malin.
Sorti de la salle de maquillage, Sascha a l’air plutôt sympathique. On discute normalement, il regarde les fringues, enfile ce que Jen et Paul lui proposent. Il n’a pas l’ait très compliqué finalement, le garçon.
Premier look, sous le ciel bleu, exactement, chemise brique et manteau en cachemire. Pieds nus, oui, ça ne le dérange pas. Il pose avec aisance. L’ambiance est plutôt simple et sereine. Je me tiens à l’écart, derrière, pour ne pas ajouter ma vieille ombre à l’image. On vient me voir. Des Italiens, de Turin. Et vous faites un shooting ? Est-ce qu’il va rejouer bientôt ? Vous travaillez pour un magazine ? Oui, oui, je dis oui. Les deux femmes qui sont là se prennent en selfie avec en arrière-champ le photographe et le sportif. Drôle de mise en abîme quand même, avec les lycras et les lèvres gonflées de rigueur, une image de l’époque, direz-vous.
Les looks s’enchaînent. Zverev ne se plaint pas. Il pose comme on lui demande, avec les chiens de sa mère, en retournant tel bijou ou tel autre, les pieds dans l’eau, dans la terre. Je n’arrive pas à percevoir si l’exercice lui plaît ou s’il est simplement bien élevé. Quoi qu’il en soit, tout ça ne pourrait pas franchement mieux se passer. Le type a de l’allure, il n’est pas pressé. Pierre-Ange fait voler les appareils les uns après les autres, il en a toujours deux ou trois qui se balancent à ses poignets. Je comprends alors ce qu’il me disait plus tôt, “oui, mes appareils sont tous identiques, si j’en utilise plusieurs, c’est seulement qu’ils ne sont pas assez rapides pour moi”. J’ai toujours bien aimé observer les photographes avec qui je travaille. Certains attendent trois plombes pour trouver le moment, d’autres mitraillent, mais ils ont tous une gestuelle particulière, comme si le corps se tordait pour l’œil, des jambes repliées au service de la pellicule.
J’ai discuté un peu avec Zverev. Je dois avouer qu’il est charmant. Il habite à Monaco, mais il voyage quarante semaines par an – oui, ça fait dix mois dans des hôtels et sur les courts des tournois surtout. Vie étrange s’il en est, courir les compètes, littéralement, depuis la plus tendre enfance, un contre un, le score toujours et les points qu’on arrache. Je décèle quelque chose d’une adolescence qui ne serait pas achevée, d’une vie où le sport a pris tant de place, toute la place peut-être, qu’on n’aurait pas pu faire les conneries qui nous forment, qu’on n’aurait pas subi l’ennui qui nous façonne.
Je discute avec son agent, comprenez le type qui l’accompagne partout, tout le temps. C’est un ami de son grand frère, ils se connaissent alors, depuis que Sascha a 5 ans. Ancien tennisman professionnel (145e mondial tout de même) Sergueï a dû arrêter après une chute terrible du troisième étage. J’apprends qu’il est le fils de Sergueï Bubka, le perchiste de légende, qui a battu trente-cinq records du monde tout au long de sa carrière. Sergueï Junior est très avenant, il parle un français parfait et sa présence a quelque chose de rassurant, de bienveillant. Je comprends alors que Zverev est bien entouré, que Sergueï, que sa mère, sa copine qui est là aussi, veillent au grain, mais sans interférence, comme un soutien, tout simplement.
Après les photos civiles, j’allais dire, après les photos posées en tout cas, Sascha enfile sa tenue de tennisman et il va taper la balle. Des échanges, Pierre-Ange qui jubile : “Sers-moi dessus, je vais rattraper tout ça.” Je me poile du haut de la chaise des arbitres. Ça fuse. J’entends quelqu’un dire à quel point le côté compétitif du joueur ressort immédiatement. Et Zverev de répondre : “and why do you think I do what I do ?” Oui, voilà, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter à ça. Zverev est à sa place.
COIFFURE ET MAQUILLAGE : Brigitte Fresnel @ AURÉLIEN AZUR. REMERCIEMENTS À L’HÔTEL METROPOLE ET AU MONTE-CARLO COUNTRY CLUB.