Qui es-tu, Mathilde Ollivier ?
Ce nouveau projet s'intitule The Upright Woman et, comme l'explique Mathilde Ollivier, il traite du sujet des femmes du Burkina Faso : de ce qu'elles ont gagné sous le leadership de l'ancien président burkinabé, Thomas Sankara, et de ce qu'elles ont perdu après sa mort, lors d'un coup d'État en 1987 mené par son associé, l'homme politique Blaise Compaoré. Compaoré poursuivra son mandat de président pendant 27 ans avant d'être évincé lors d'une rébellion de 2014 et de fuir en Côte d'Ivoire avec l'aide du président français François Hollande.
Ollivier est franchement passionnée par l’histoire de la nation ouest africaine. Assise en face de moi dans un bar à vin animé de New York, elle énumère de manière détaillée, de sa voix riche et emphatique, l'évolution des droits des femmes au Burkina Faso, les langues parlées, les religions pratiquées, les dommages infligés par la colonisation française, et le rôle suspicieux de la France dans l'évasion de Compaoré. Honnêtement, je ne savais pratiquement rien sur le Burkina Faso, mais je suis repartie avec le besoin d'en savoir plus. Ce qui, en termes d’objectif ultime pour Ollivier — semer le germe du désir d'en savoir davantage auprès d'un public ignorant — pourrait être considéré comme une mission accomplie.
Parlez-nous un peu de The Upright Woman.
Nous avons commencé par explorer le parcours de cette femme Sylvie Nombre, qui a été esclave pendant la plus grande partie de sa vie, de 6 à 26 ans. Elle avait été vendue à son oncle parce qu'il n'avait pas assez d'enfants et maintenant elle vit en Australie et travaille pour un mineur d'or australien. Outre son récit, l'angle principal est celui de Thomas Sankara, président du Burkina Faso depuis seulement quatre ans. Lors de son accession au pouvoir, il a affirmé que les femmes devraient avoir les mêmes droits que les hommes. Lorsque Sankara a été tué, son héritage et ce qu'il voulait donner aux femmes ont complètement disparu.
L’important dans ce documentaire est de ne pas dire au public : c’est ce que vous devez penser à cause de cette histoire, ou c’est ce que nous voulons que vous pensiez. Ce n'est pas ce que nous souhaitons, nous essayons simplment d'être aussi honnête que possible. Nous avons tourné ce film sans aucun jugement et nous voulons que le public ressente et pense ce qu'il veut, qu'il se pose des questions. Je déteste quand vous regardez un film ou un documentaire et qu'à la fin les réalisateurs vous poussent dans ce que vous devez ressentir. Ei je ne me sens pas comme ça ? Que mon raisonnement pas va pas dans le même sens ?
Malheureusement, les créateurs commencent parfois une histoire avec un point de vue et recherchent des informations qui valident leur point de vue préconçu, par opposition à une recherche préalable pour ensuite formuler une opinion.
Cette histoire a tant changé, ce qui en fait sa beauté, car nous n'étions pas du tout proches de ce que l'histoire devait originellement être. Nous avions fait des recherches, mais à notre arrivée au Burkina Faso, tout le monde parlait de Thomas Sankara et du changement de la vie des femmes depuis sa mort. Quand nous sommes revenus à Paris et avons commencé à écrire à New York, le récit avait tellement changé sans même que nous nous en rendions compte. Il n’y avait pas d’esprit fermé, nous étions très ouverts à comment faire en sorte que quiconque qui ne sache rien s'intéresse à ce sujet. C'est pourquoi nous sommes retournés pour voir ce qui est arrivé à ce pays, de Sankara à Sylvie, en passant par la femme de Sankara qui a dû fuir son pays pendant 40 ans avant de finalement pouvoir revenir sur le sol. Qu'est-il arrivé à [l'ancien président du Burkina Faso] Blaise Compaoré, comment a-t-il quitté ce pays?
Nous voulions nous assurer que nous n'apportions pas de jugement. Nous avons fait ce film pour montrer à quel point le Burkina Faso est beau et nous ne voulons pas que quiconque pense comme nous le pensons. En fait, plus nous parlons du film, mieux c'est. Si vous n'aimez pas ça, incroyable, pourquoi ? Parlons-en. Si vous avez aimé, fantastique, pourquoi ? Si vous ne savez pas si cela vous a plu ou non, fantastique aussi. Cela fait parler et je pense qu'avec n'importe quel type d'art, vous devriez pouvoir en parler et ne pas avoir l'impression d'avoir été forcé de juger de telle ou telle manière un sujet.
Sylvie l'a-t-elle regardé ? Si oui, qu'a-t-elle pensé ?
Elle a pensé que c'était génial et a apprécié le fait qu'elle faisait plus partie du récit "présent" que du récit principal. C'était comme écouter sa volonté et ce qu'elle voulait faire. Elle l'a regardé et cela l'a réellement émue. Nous avons filmé son frère et ses soeurs en train de parler. Elle l'a aimé, elle l'a vraiment aimé. Elle l'a regardé en Australie et nous a envoyé un très bel email juste après.
J'ai passé beaucoup de temps avec Sylvie, la rassurant via des courriers électroniques avant la production, pendant la production, pour m'assurer qu'elle était à l'aise, car elle ne s'était jamais présentée devant une caméra. C'est très stressant de voir une équipe de sept personnes vous mettre un micro tous les jours, deux caméras en marche et quelques lumières en pleine figure. Elle se demandait si sa famille allait la haïr pour ça. Allaient-ils être fiers d'elle ? Nous devions faire très attention et respecter vraiment sa volonté et son histoire. Nous pensons que nous avons fait cela. Je voulais prendre soin d'elle, ce qui est important après tout ce qu'elle a vécu et subi.
Lors des reportages et des entretiens au Burkina Faso, quelles mesures avez-vous prises avec votre équipe pour vous assurer de ne pas tirer parti d'une culture qui n'est pas la vôtre ?
Il était extrêmement important pour nous de parler aux gens et de nous assurer qu'ils ne se sentent pas du tout jugés. Par exemple, le mariage forcé : nous pouvons être en désaccord avec cela, mais il s'agit de leur culture, les citoyens vivent avec cela depuis si longtemps. Donc, la première chose à dire était : merci de nous recevoir, nous avons juste quelques questions en tant qu'étrangers, nous sommes très intéressés par votre culture et nous voulons simplement savoir comment tout fonctionne. Et nous voulions nous assurer qu'il n'y avait pas de jugement dans nos questions. À l'heure actuelle, nous pensons que les choses doivent changer parce que le monde change, mais cela va prendre du temps et nous ne pouvons pas nous précipiter et y aller comme des "blancs" prétendant tout savoir alors que nous ne savons rien. Par exemple, le Burkina Faso est le premier pays au monde moitié chrétien, moitié musulman et, dans la même famille, musulmans et chrétiens peuvent parfaitement vivre ensemble. C’est un exemple pour le reste du monde où les gens sont si divisés en religion.
Pendant toute la production, Sylvie a joué un rôle majeur dans l’interview des femmes du Burkina Faso. Elle traduisait nos questions aux femmes du village qui ne parlaient pas français et le fait qu'elle soit là lors de la traduction et qu'elle s'assurait que les femmes sentaient que nous n'étions pas une menace a vraiment aidé à communiquer que nous voulions simplement poser des questions, que nous voulions juste en savoir plus sur eux, plus sur leur pays. Nous voulions les filmer parce qu'ils sont beaux. Toutes les personnes à qui nous avons parlé, même les personnes qui nous ont dit non, ont toutes une histoire qu'ils portent sur eux, sur leur faciès. Vous pouviez voir les difficultés endurées, mais leur vie a continué et c'est ça qui est beau. C'était juste magnifique.
Quelle était la partie la plus difficile à la réalisation de ce documentaire ?
Il s'agissait de créer quelque chose qui puisse expliquer au public l'histoire du Burkina Faso en Afrique de l'Ouest, ce que le pays a traversé, ce que le pays a eu et ce que le pays a perdu. Que ce soit politique, mais pas trop politique non plus, et reflétant la voix actuelle des femmes et le parcours de toutes les femmes. C'était comme cuisiner avec tous ces ingrédients et devoir créer un équilibre. Tourner était une expérience incroyable : nous vivions chez des gens, nous vivions avec la communauté et c'était merveilleux. La partie la plus difficile a été en post-production, en essayant de s'assurer que toute personne puisse comprendre cette histoire d'une certaine manière, avec justesse. Et s’ils ne le connaissent pas, nous voulons qu’ils s’intéressent tout simplement au Burkina Faso, qui est un si beau pays qui a été complètement détruit par les Français, en particulier. [L'ancien président du Burkina Faso] Blaise Compaoré et [l'ancien président de la France] François Hollande ont tout foutu en l'air. Compaoré a commis de nombreuses atrocités et le peuple burkinabé voulait qu'il aille en prison, mais les Français l'ont aidé à quitter le pays et il vit maintenant en Côte d'Ivoire. Il a volé tant d’argent à la population du Burkina Faso...
Sankara a dit une fois : "Nous n'achetons rien des autres continents et des autres pays. Nous sommes un pays magnifique, nous avons notre propre âme, nous pouvons cultiver notre propre nourriture et fabriquer nos propres vêtements et nous pouvons en être fiers. Je veux que notre pays soit un pays riche, car nous le pouvons et nous avons des gens intelligents, des gens forts et nous pouvons le faire. Quand il est passé, Compaoré a ouvert les portes aux mineurs d’or et a détruit cette idée de le faire nôtre." Nous avons donc dû mélanger la politique, l’histoire et le présent, et veiller à ce que tous ceux qui peuvent voir le film veuillent en savoir plus sur ce magnifique pays qu'est le Burkina Faso.
Que pouvons-nous attendre d'autre du documentaire ?
L'un de nos compositeurs de musique ayant participé à ce projet a créé toute la musique. La partition est donc tout à fait originale et l'influence de Fela Kuti est considérable. Dans l'histoire, Sankara était la meilleure amie de Fela Kuti.
Vous êtes généralement plus connue en tant qu'actrice, cette fois, vous êtes productrice. Qu'imaginez-vous être la prochaine étape de votre parcours professionnel ?
Certainement en train de tourner. Je suis une actrice. Mais le but d’être productrice est de faire des projets qui me passionnent et me transportent. Tout comme cette histoire, je la trouvais extrêmement belle et je voulais la raconter. Je suis donc très fière d’avoir mon nom attaché à ce projet, de le produire et d'y avoir travaillé avec l’équipe. Je peux voir à quel point les jeunes artistes et les jeunes créateurs rencontrent tant de difficultés, ils doivent se battre car ils ne peuvent pas montrer leur scénario, n'étant associés à aucun producteur. Je veux créer des projets qui me passionnent et je pense que c’est une expérience formidable d’être une actrice, car c’est extrêmement important de connaître tous les aspects de son secteur. Vous réalisez quand vous allez sur le plateau que le producteur a du mal à trouver l'emplacement, l'heure, les lumières, les gens qui doivent être sur le plateau, et avoir été dans cette position me rend encore plus reconnaissante du travail qu'ils font. Même si j'en étais consciente auparavant, maintenant je suis comme "wow, je vais toujours être à l'heure, je ne perdrai jamais ma ligne, pas de problème venant de ma part !"
Sur quels autres projets travaillez-vous maintenant?
Je vais au Colorado pour filmer un pilote pour une série qui j'espère est à venir. C'est très excitant, et le casting est magnifique. Nous faisons les premières prises depuis quelques jours, et je suisen tête de file pour ce projet. Je fais un autre projet avec [le réalisateur de The Upright Woman] Patrick, que nous allons tourner en septembre de cette année. C’est très, très excitant, car nous travaillons sur ce projet depuis quatre ans et cela se réalise enfin. C'est une belle histoire et un personnage incroyable que je suis si fière de jouer. Ce sont les deux choses principales, et, qui sait, peut-être d'autres sont à venir !
Découvrez Mathilde Ollivier dans Unrequited, un film de Joshua Steen
Crédits
Produit par : Yael Quint
Photographe : Richie Talboy
Assistant photo : Omar Flores
Stylisme par : Yael Quint
Assistants stylisme : Mina Erkli, Oliver Campbell
Coiffure : Ledora
Maquillage : Tatiana Donaldson
Vidéos réalisées par : Joshua Steen