Emma Mackey : "On n’est pas là pour assener des vérités"
Les cheveux roses décolorés, portant minijupe, Dr. Martens et bomber noir, bref une fille un peu goth, un peu punk mais surtout féroce, Emma Mackey a fait son entrée fracassante il y a un an à peine simultanément dans la cour du lycée de la série anglaise de Netflix Sex Education et dans la cour des grands. Elle y joue Maeve Wiley, un des rôles principaux, complexe, celui d’une adolescente rebelle, brillante et solitaire, qui rejette tout lien affectif et toute autorité, cachant au fond d’elle une grande empathie et pas mal de blessures. Aujourd’hui, alors que la saison 2 de Sex Education vient de sortir, Emma Mackey est devenue plus qu’un espoir : une météorite qui est passée en à peine deux ans de l’école de théâtre, à un des premiers rôles dans une série acclamée par le public et les critiques. Elle a tout de suite enchaîné avec un tournage avec le réalisateur et acteur britannique Kenneth Branagh qui lui a confié un des plus beaux rôles, celui de Jacqueline de Bellefort, dans sa nouvelle adaptation de Mort sur le Nil d’Agatha Christie aux côtés de Gal Gadot et d’Armie Hammer – le film sortira à l’automne prochain sur grand écran. Pour l’heure, Emma défend à nouveau Maeve, une fille qui ne pourrait pas être plus différente d’elle quand on la voit arriver détendue mais concentrée, ouverte et souriante sur le plateau du shooting, avec un petit look sixties et ses yeux de biche plus qu’immenses, de grandes fenêtres dans lesquelles défilent si bien ses émotions à l’écran.
Premier décalage, contrairement à ce qu’on pourrait croire en l’entendant dans Sex Education, Emma Mackey est née et a grandi en France dans la Sarthe, entre un père français et une mère anglaise, un univers parfaitement bilingue et biculturel : “Ma famille britannique est très mélomane, très branchée théâtre. Petite, je jouais des personnages, je me déguisais. Cela a toujours fait partie de moi, de mon éducation. Mon rêve d’adolescente, c’était la Royal Shakespeare Company. J’y suis allée à 16 ans pour la première fois voir une production de Beaucoup de bruit pour rien avec mes parents, et cela m’a bouleversée. Je me suis dit, c’est ça que je veux. Mais il a fallu que j’arrive à l’Université de Leeds, pour suivre des études de littérature, pour que je comprenne qu’il était possible d’en faire un métier. Au premier semestre, j’ai mis en scène une pièce de théâtre, et puis j’ai rencontré des gens qui avaient la même passion j’ai commencé à passer des auditions.” Sur Sex Education, elle retrouve ce même esprit de troupe, dans un cadre différent, très champêtre de la Vallée de la Wye entre le Pays de Galles et l’Angleterre : “On a vécu ces tournages comme dans une bulle : on se voyait tous les jours, on travaillait de façon très intense, sur un campus, et cela a duré quatre mois. L’alchimie qu’on voit à l’écran vient de là. Une troupe où tout le monde s’adore, se soutient ; c’est une grande chance.”
Successeur de la série Skins et concurrent d’Euphoria, Sex Education égrène une galerie de personnages très, très attachants : Jean Milburn jouée par Gillian Anderson (la Scully de X-Files), une sexologue sexy, se dispute malgré elle avec son fils Otis (Asa Butterfield, vu chez Scorsese et Tim Burton), un ado mal dans sa peau mais thérapeute dans l’âme. Au lycée, Otis va ouvrir avec Maeve qu’il aime en secret une sorte de cabinet de thérapie sexuelle. Autres personnages importants qui vont s’épanouir dans la saison 2 : Eric (Ncuti Gatwa), gay extraverti et meilleur ami d’Otis, et Adam (l’extraordinaire Connor Swindells), une brute pas si brute que ça. Maeve, elle, est la seule “petite adulte” du groupe vivant seule dans la caravane dont elle paie le loyer. Un très beau rôle pour Emma qui aime l’ambivalence de son personnage : “Cette saison est un peu plus sombre, plus approfondie, on voit tout le monde grandir, s’émanciper et je trouve ça beau, très juste dans l’écriture, parfois même déchirant. Ça m’a brisé le cœur de tourner certaines scènes entre Maeve et sa mère (une ex-junkie, ndlr), mais c’est un défi que j’adore, je vis pour ça.” Finalement, Sex Education parle de tout le monde, de toutes les identités (bi, hétéro, gay, lesbien, etc.), à tout le monde, sans drame, avec humour et honnêteté. Paraphrasant le légendaire “Nobody’s perfect” qui clôt Certains l’aiment chaud, on pourrait dire que Sex Education démontre que la sexualité parfaite n’existe pas. Série fun mais surtout bienveillante, elle parle à la Gen Z mais aussi aux autres. Emma le confirme : “On a créé des personnages singuliers mais c’est quand même un outil : on n’est pas là pour assener des vérités mais donner un point d’appui pour ouvrir des discussions sur la sexualité.”
Changement de décor radical : quelques mois après avoir terminé la saison 2 de la série et s’être ressourcée à Londres, où elle vit de manière très simple et zen, Emma Mackey s’est retrouvée dans le monde luxueux mais létal imaginé par Dame Agatha Christie aux côtés d’un casting prestigieux en Égypte. Cette bosseuse est encore sidérée par cette expérience : “Pendant ces deux mois surréalistes, je me levais le matin comme sur un ressort : c’était un bonheur du début à la fin.” Kenneth Branagh, cinéaste et acteur mais homme de théâtre avant tout, repère toujours les acteurs avec un flair hors pair. Un excellent signe pour Emma qui a été bluffée par “Monsieur Shakespeare” : “être guidée et instruite par lui, pour créer mon personnage et le peaufiner de façon très technique, assez “conservatoire”, ça a été extraordinaire. Pour Jacqueline, j’ai pris des cours de voix et de chorégraphie. Il y avait une ambiance fantastique, très sensuelle avec des costumes et une lumière magnifiques. Même si j’étais un peu le “bébé” du groupe, je me suis sentie femme pour la première fois dans ce film, adulte.” Emma n’a que 24 ans et un an de carrière fulgurante derrière elle, mais il nous tarde de voir où son étoile va la mener.
Photographie Guen Fiore
Stylisme Vanessa Bellugeon
Coiffure : Walter Armano.
Maquillage : Megumi Itano.
Assistant photo : Francesco Zinno.
Assistante stylisme : Gabriela Cambero.