À la lumière des soeurs Qualley
Photographie par Alexei Hay
Stylisme par Batsheva Hay
Prenez une mère actrice, un père mannequin et une enfance partagée entre un ranch dans le Missouri et la Caroline du Nord. Ajoutez une attirance certaine pour les arts du spectacle et une détermination sans failles et vous obtiendrez Rainey et Margaret Qualley, deux sœurs aussi lumineuses qu’ambitieuses, la tête sur les épaules et en phase avec leur temps. Piquées d’une curiosité artistique, les deux jeunes femmes ont rapidement quitté leur Midwest natal, où elles ont grandi sans voisins ni télévision. L’histoire s’est occupé du reste : si leur mère Andy MacDowell, figure emblématique des années 1980 et 1990, et leur père Paul Qualley, aujourd’hui gérant de son ranch, ont pris le parti d’épargner à leurs trois enfants les frasques de la vie hollywoodienne, le destin en a voulu autrement, et le monde du spectacle a vite rattrapé les deux cadettes.
"Je ne me souviens pas d’une seule période de ma vie qui ne soit pas accompagnée par la danse. Petite, j’étais même inscrite à ces stupides cours de mouvements pour enfants en bas âge”, s’amuse Margaret Qualley, actuellement en tournage du prochain film de Quentin Tarantino, Once Upon a Time in Hollywood. On l’avait découverte dans le rôle de Jill, dans la série The Leftovers, puis dans le film publicitaire du parfum Kenzo World, dirigé par Spike Jonze, en 2016. En voyant cette grande brune gracile se livrer à une chorégraphie endiablée de danse contempo-aine, à la manière de Christopher Walken dans le clip mythique du Weapon of Choice de Fatboy Slim, les talons aiguilles en plus, la magie avait tout de suite opéré. Plus qu’une maîtrise évidente de la danse, on découvrait alors le talent d’actrice de Margaret Qualley.
Sa sœur ainée, Rainey, n’est pas en reste : musicienne depuis son plus jeune âge, elle vient de clôturer la tournée accompagnant son premier EP, Turn Down the Lights, sous le pseudonyme Rainsford. “J’ai toujours voulu devenir chanteuse, mais je n’avais aucune idée de comment mettre cette volonté en œuvre, admet-elle. J’ai passé une grande partie de mon enfance en Caroline du Nord, l’industrie du divertissement me paraissait très loin de mon quotidien.” Le gène du spectacle a pourtant hap- pé les deux sœurs avant leur majorité. Lorsqu’on grandit dans les États-Unis du XXIe siècle, le mythe du “tout est possible” a vite fait de vous chuchoter à l’oreille, et les deux sœurs n’ont eu besoin que de quelques années pour débuter leurs carrières respectives.
Danse, comédie, musique...
C’est à l’École des Arts de l’Université de Caroline du Nord que Margaret Qualley fait ses armes, dans la section ballet. À l’aube de ses 17 ans, elle cesse pourtant cette discipline rigoureuse devenue un poids aussi physique qu’émotionnel, et part étudier le théâtre à New York, où elle découvre toutes les richesses du métier d’actrice. “Danse et comédie sont deux disciplines presque opposées. Elles se rejoignent par une certaine conscience du corps, mais le ballet, c’est noir ou blanc, il n’y a qu’une bonne façon de faire, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on joue la comédie. Les erreurs, les réactions étranges ou spontanées forment la meilleure partie du travail, et les circonstances les plus difficiles, comme tourner de nuit, dans le froid et la fatigue, mènent souvent aux plus grands moments de bonheur.”
De son côté, Rainey étudie l’art dramatique au Maggie Flanigan Studio de New York, puis à la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, avant de décrocher son premier rôle en 2012 dans le film Mighty Fine de Debbie Goodstein, aux côtés de sa mère. Trois ans plus tard, elle sort son premier single, Me and Johnny Cash, et assure la première partie de Willie Nelson, un monument de la country. La machine est lancée, Rainey se consacre alors à une carrière musicale forte de références qui en disent long sur ses racines : parmi ses principales inspirations, elle cite Kate Bush, Neil Young et Van Morrison, mais aussi les Backstreet Boys, TLC et Mariah Carey. Un condensé de la musique populaire des soixante dernières années, et autant de références pop qu’engagées. Mais pas question pour autant de se définir comme une artiste politique, c’est dans les émotions de la vie quotidienne que Rainey puise ses plus fortes inspirations. “Ma musique est avant tout personnelle. Je m’inspire aussi bien de mes voyages que de ma sœur, mon petit ami, ou des sentiments les plus simples comme la tristesse ou la solitude. Tout ce que je vis finit, d’une manière ou d’une autre, dans l’une de mes chansons.”
Bonne parole
Il faut dire qu’être artiste dans le pays qui possède l’industrie du divertissement la plus puissante au monde, tout en étant une terre historique d’inégalités sociales, force un certain attachement à la réalité. Une façon de garder la tête froide et les idées saines, pour Rainey comme pour Margaret. “Nous sommes nées et nous évoluons à une période très bizarre, affirme cette dernière. Notre pays est dirigé, si on peut appeler ça ainsi, par un homme haineux. Ceux qui élèvent la voix contre lui m’inspirent beaucoup. C’est peut-être banal, mais je crois vraiment que l’amour triomphe. L’amour n’est pas qu’un sentiment, c’est une force qui nous pousse à agir. Quelque soit le projet sur lequel je travaille, je fais attention à m’entourer de personnes bienveillantes qui véhiculent un discours sensé.” Comme beaucoup d’artistes de sa génération, Margaret Qualley utilise les outils de communication de son temps pour s’engager dans le combat pour une Amérique humaniste. “Nous devons voter, en appeler aux sénateurs, élever la voix pour ceux que l’on essaye de faire taire. L’un des avantages des réseaux sociaux est qu’ils sont un outil de communication instantané. On peut gagner des guerres par la communication, la parole et l’échange.” Pas question pour les sœurs Qualley d’être prisonnières de leur époque et de ses vices. Conscientes du danger inhérent à ces réseaux, qui est de construire une image biaisée du monde réel, elles préfèrent les utiliser pour diffuser la bonne parole. “Les réseaux sociaux ont une dimension narcissique particulièrement écœurante dont il est nécessaire de se détacher, renchérit Rainey. En tant qu’artiste, on doit s’en servir pour dénoncer les injustices que notre gouvernement ne cesse de créer, car nous vivons dans un environnement où l’on se sent vite très impuissant.” Toutes deux prennent avec prudence et réflexion le pouvoir de parole que leur offre déjà leur jeune célébrité. Elles poursuivent leur carrière à leur rythme, attentives à chaque nouvelle opportunité. Rainey nous informe qu’elle travaille à de nouveaux morceaux, préparant sereinement la suite de ses aventures musicales. En attendant le nouveau Tarantino, on verra Margaret dans Adam, le prochain film du réalisateur Rhys Ernst, qui explore la communauté LGBTQ. Leur rêve commun ? Travailler ensemble, sur quelque projet que ce soit. Rainey et Margaret ne tarissent pas d’éloge l’une sur l’autre, chacune parlant de l’autre comme de sa personne préférée au monde. Chez les Qualley, plus que la réussite, c’est la famille qui compte, et à qui sait aimer, rien n’est impossible.