Palais, riad, villa brutaliste, hôtel californien, appartement haussmannien ou bar british, les multiples projets architecturaux de Studio KO s’enchaînent comme autant de scénarios semés aux quatre coins de la planète. Rencontre

Photographie&nbsp;par Noel Manalili

Karl Fournier et Olivier Marty, alias Studio KO, ont commenc&eacute; par laisser leur empreinte aux pieds de l&rsquo;Atlas. Entre le Maroc et eux, c&rsquo;est d&rsquo;abord une histoire d&rsquo;amour. Discr&egrave;tement mais non sans vision, ils ont grav&eacute; dans la terre crue et le b&eacute;ton bouchard&eacute; le vocabulaire de leur mantra. Un jour, la mode a fait irruption dans leur vie par le biais d&rsquo;un mus&eacute;e haute couture. Une &eacute;piphanie qui a hiss&eacute; le duo sur le podium des architectes et designers les plus brillants de leur g&eacute;n&eacute;ration. Dans leur architecture, l&rsquo;&eacute;pure, la tension, la lumi&egrave;re appellent &agrave; la contemplation. &Agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur, o&ugrave; ils savent doser les &eacute;l&eacute;gances, l&rsquo;avant-garde et le vernaculaire dansent le m&ecirc;me slow. Parfois une touche d&rsquo;or illumine l&rsquo;ombre d&rsquo;un mur, le contrepoint &agrave; une frugalit&eacute; recherch&eacute;e.

Pourquoi le Maroc compte-t-il autant dans votre parcours? 
Cela a commenc&eacute;, pendant nos &eacute;tudes d&rsquo;architecture aux Beaux-Arts, par un coup de c&oelig;ur pour le pays, les paysages,&nbsp;la lumi&egrave;re, la chaleur et l&rsquo;envie d&rsquo;y travailler. C&rsquo;&eacute;tait encore le xxe&nbsp;si&egrave;cle, il n&rsquo;y avait pas foule comme aujourd&rsquo;hui &agrave; Marrakech, et rapidement, on y a fait des rencontres d&eacute;cisives comme celle de Jean-No&euml;l Schoeffer, propri&eacute;taire l&agrave;-bas &ndash; et encore aujourd&rsquo;hui &ndash; d&rsquo;une des premi&egrave;res maisons d&rsquo;h&ocirc;tes. Tr&egrave;s vite s&rsquo;est nou&eacute;e une amiti&eacute; profonde, quasi fraternelle. Le Maroc, c&rsquo;est un peu comme le&nbsp;&ldquo;Protect me from what I want&rdquo;&nbsp;de l&rsquo;artiste Jenny Holzer : de temps en temps les choses que l&rsquo;on d&eacute;sire le plus arrivent. D&rsquo;abord un projet pour la famille Herm&egrave;s, suivi d&rsquo;un autre pour les Agnelli. Cette typologie de clients a induit la suite, sans calcul, sans pr&eacute;m&eacute;ditation aucune. Cela a aussi co&iuml;ncid&eacute; avec le boum ph&eacute;nom&eacute;nal qu&rsquo;a connu la destination dans ces ann&eacute;es-l&agrave;. En tant qu&rsquo;architectes fran&ccedil;ais, nous ouvrions en quelque sorte la voie sans savoir qu&rsquo;autant de nos compatriotes s&rsquo;engouffreraient dans la br&egrave;che. De deux collaborateurs sur place &agrave; l&rsquo;&eacute;poque, Studio KO Marrakech est pass&eacute; &agrave; cinq, puis dix et en compte d&eacute;sormais entre vingt-cinq et trente, en fonction de l&rsquo;importance des projets sur place.

Comment cette fa&ccedil;on d&rsquo;imbriquer art, mode et architecture a-t-elle servi de catalyseur au mus&eacute;e YSL? 
Ce mus&eacute;e scelle une r&eacute;conciliation entre l&rsquo;art et la mode. Il est l&rsquo;illustration d&rsquo;un engouement, d&rsquo;une &eacute;piphanie. Longtemps les mus&eacute;es ont regard&eacute; la mode de haut, sans vraiment mesurer ce que cet univers dit de notre &eacute;poque, de nos pr&eacute;occupations. Aujourd&rsquo;hui, il n&rsquo;est qu&rsquo;&agrave; voir les r&eacute;trospectives de couturiers se multiplier au mus&eacute;e pour comprendre que la prise de conscience a enfin eu lieu.

Quelle orientation avez-vous suivie? 
Au d&eacute;part nous &eacute;tions peu familiers du travail de Saint- Laurent, ce sont les archives de la fondation &agrave; Paris qui nous ont permis de d&eacute;couvrir l&rsquo;incroyable richesse de son talent, un foisonnement, une insatiable curiosit&eacute; qui a r&eacute;volutionn&eacute; l&rsquo;&eacute;poque. La volont&eacute; de Pierre Berg&eacute; &agrave; travers ce mus&eacute;e, au-del&agrave; de l&rsquo;hommage au couturier dont il avait partag&eacute; la vie, &eacute;tait de se servir du nom de Saint-Laurent pour attirer les gens et les plonger dans un bain de culture. Pour les Marocains, cet acc&egrave;s &agrave; la culture n&rsquo;est pas si facile. Peu de mus&eacute;es encouragent &agrave; l&rsquo;&eacute;veil artistique autrement que par l&rsquo;histoire ou le patrimoine. Sa vision &eacute;tait donc, en parall&egrave;le des collections permanentes issues de la fondation YSL, d&rsquo;accueillir des artistes, marocains et internationaux, des expositions temporaires, de programmer des concerts, des conf&eacute;rences, des films, d&rsquo;ouvrir aux &eacute;tudiants et chercheurs son importante biblioth&egrave;que traitant du monde berb&egrave;re, de botanique ou de mode. En faire un lieu de curiosit&eacute;,&nbsp;&ldquo;ouvert sur la ville et sur la vie&rdquo;, &eacute;tait essentiel &agrave; Pierre Berg&eacute; qui, d&egrave;s les pr&eacute;mices du projet, nous a interdit&nbsp;&ldquo;d&rsquo;en faire un mausol&eacute;e&rdquo;.

Avant le mus&eacute;e YSL, vous avez &eacute;t&eacute; &agrave; l&rsquo;origine des boutiques AMI d&rsquo;Alexandre Mattiussi... 
Avec Alexandre, le courant est pass&eacute; tout de suite. Il nous&nbsp;a parl&eacute; non pas de boutique mais de mode, de la fa&ccedil;on dont il cr&eacute;e et des nombreuses questions qui animent son m&eacute;tier. Notre proposition l&rsquo;a s&eacute;duit parce qu&rsquo;elle rencontrait la voie m&eacute;diane, un vestiaire &agrave; la fois portable et atypique, une ligne de cr&ecirc;te assez risqu&eacute;e qui assume autant le baroque de la culture urbaine qu&rsquo;un certain classicisme. Pour les sept boutiques, de Paris &agrave; Hong Kong en passant par Londres et la Chine, il s&rsquo;agissait de retranscrire un ADN qui cultive volontiers cet antagonisme jamais fortuit.

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Le musée YSL de Marrakech

La piscine de la villa K à Tagadert, Maroc

Quel est votre rapport &agrave; la mode masculine? 
Compliqu&eacute;, parce que s&rsquo;habiller n&rsquo;est pas un geste anodin, et cela demande de l&rsquo;attention. D&rsquo;ailleurs nous avions voulu dessiner notre propre uniforme, identique pour nous deux, &agrave; peine variable selon la saison. Une sorte d&rsquo;identit&eacute; visuelle rapport&eacute;e au corps.&nbsp;

N&rsquo;y a-t-il pas une sorte d&rsquo;entrisme de la mode dans le champ de l &rsquo;architecture? 
Oui, la mode s&rsquo;oblige continuellement &agrave; une croissance sans limites et vampirise notre m&eacute;tier d&rsquo;architecte. On fait maintenant signer l&rsquo;agencement d&rsquo;un restaurant ou le dessin d&rsquo;une lampe par des stylistes renomm&eacute;s. On a eu Armani, Lacroix ou Gaultier pour rhabiller les int&eacute;rieurs. On voit maintenant que Missoni fait son lit ou que Jacquemus passe &agrave; table. &Agrave; l&rsquo;inverse, nous serions bien&nbsp;incapables de dessiner une collection de v&ecirc;tements. Parce que c&rsquo;est un m&eacute;tier, que nous ne l&rsquo;avons pas appris des ann&eacute;es durant, ni m&ecirc;me abord&eacute; par l&rsquo;exp&eacute;rience. Autres travers de la mode &agrave; s&rsquo;imposer dans l&rsquo;univers de la maison, le rythme, la saison doivent &eacute;pouser la tendance du moment. Et la presse d&eacute;co se plie &agrave; ce diktat! Notre m&eacute;tier devrait plut&ocirc;t viser l&rsquo;intemporalit&eacute;, loin des effets de mode.&nbsp;

Durer, est-ce la force de Flamingo Estate, pour laquelle Richard Christiansen a fait appel &agrave; vous? 
La dimension narrative de cette villa de Los Angeles &eacute;tait son meilleur atout. Elle a un tel pouvoir d&rsquo;attraction que Richard l&rsquo;a achet&eacute;e sans m&ecirc;me l&rsquo;avoir visit&eacute;e. Le papy qui l&rsquo;occupait depuis quarante ans vivait au milieu des vestiges de sa vie de producteur de porno gay, dans une accumulation de milliers de diapos, de bobines de films, d&rsquo;accessoires et de d&eacute;cors. Quand Richard a enfin pu acheter la maison, il nous a appel&eacute;s pour imaginer la suite&nbsp;&ldquo; de son jardin de plaisir et de fantaisie&rdquo;.

Projet fou ou projet pour un fou? 
Les deux, mais Richard est un fou sympathique. Il avait d&eacute;j&agrave; en t&ecirc;te des maisons brutalistes sur fond d&rsquo;agaves g&eacute;antes et de d&eacute;sert. Son s&eacute;jour au Chiltern Firehouse a &eacute;t&eacute; le d&eacute;clic; notre pitch de famille edwardienne chass&eacute;e de son ch&acirc;teau lui a plu. Le timing californien &eacute;tait id&eacute;al puisqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;poque Andr&eacute; Balasz nous consultait pour relooker trois appartements de Chateau Marmont. Pour Flamingo Estate, le b&eacute;ton s&rsquo;est vite impos&eacute; dans la construction de l&rsquo;escalier, entre ziggourat et villa Malaparte, ainsi que pour le pavillon de bains. On a imagin&eacute; cette pi&egrave;ce comme le climax de sa journ&eacute;e. Lui qui prend deux bains par jour peut s&rsquo;y ressourcer, allumer un feu de chemin&eacute;e, phosphorer. La lumi&egrave;re et la couleur jouent ici un r&ocirc;le essentiel. Amis &eacute;colos, n&rsquo;ayez crainte, on a veill&eacute; &agrave; ce que l&rsquo;eau des bains serve &agrave; l&rsquo;arrosage du jardin!

La villa G à Bonnieux, France

La villa DL à Essaouira

La villa D à Al Ouidane, Maroc

Un  détail de la boutique Balmain à New York

Photographes&nbsp;Dan Glasser et&nbsp;Adrien Gaut

Studio KO : chercheurs d'aura

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