Assez de la malédiction des “hymnes” officiels scandés tout au long des Coupes du monde de football, oscillant invariablement entre carton jaune et carton rouge – le “Live It Up”, cru 2018 émis par Will Smith & Cie ne fait, hélas, pas exception à la teinte... Ce pénible paradoxe nous a incités à composer une BO underground, avec l’oreille éclairée et l’œil attentif d’Eric Tong Cuong, co-fondateur de BETC, ex-président d’EMI, créateur du label Naïve et de La Chose. Honneur à une année et à un pays forts en symboles : 1968 et le Brésil débutent donc notre passage des troupes en revue, car en ce brillant millésime, le légendaire Pelé remportait la Supercoupe des Champions intercontinentaux et une bande de mutants à forte pilosité faisait vibrer les fréquences do Brasil...

L&rsquo;OFFICIEL ART : Quel buteur pour &ldquo;fusiller le gardien&rdquo; sans autre forme de proc&egrave;s?

&Eacute;RIC TONG CUONG&nbsp;: Pel&eacute; est un tacticien hors pair doubl&eacute; d&rsquo;un as des pleins et d&eacute;li&eacute;s, autrement dit un artiste du mouvement quasi chor&eacute;graphique, l&rsquo;inventeur du football moderne. Il est buteur infaillible parce qu&rsquo;impr&eacute;visible. Son r&egrave;gne s&rsquo;&eacute;tend de 1958 &agrave; 1970, p&eacute;riode durant laquelle le Br&eacute;sil passe de la d&eacute;mocratie &agrave; la dictature militaire apr&egrave;s le coup d&rsquo;&eacute;tat du 31 mars 1964. En r&eacute;action, na&icirc;t le mouvement culturel Tropicalia qui m&ecirc;le th&eacute;&acirc;tre po&eacute;sie, musique, et milite contre la mainmise militaire, le repli nationaliste et la privation des libert&eacute;s individuelles. On est en 1968, le Tropicalia pr&ocirc;ne l&rsquo;ouverture tous azimuts, et la musique est un vaste m&eacute;lange mondial psych&eacute;d&eacute;lique. Gilberto Gil, Gaetano Veloso, Milton Nascimento, Jorge Ben en sont les figures connues, mais mon truc &agrave; moi c&rsquo;est Os Mutantes, les mutants. Leur premier album &eacute;ponyme paru en 1968 est le Sgt Pepper br&eacute;silien. Gil, Veloso et Ben signent plusieurs titres. C&rsquo;est un voyage entre bossa nova psych&eacute;d&eacute;lique, guitares fuzz, pop culture, exp&eacute;rimentations LSD&nbsp;: ce disque est un anti-d&eacute;presseur tr&egrave;s puissant. Et s&rsquo;il ne faut retenir qu&rsquo;un titre, ce sera Panis et circenses, qui d&eacute;marre l&rsquo;album et en contient toute la vari&eacute;t&eacute;.

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Et pour placer &ldquo;la virgule&rdquo; au bon endroit&nbsp;?

Incontestablement, Morse, titre en ouverture du premier album de Som Imaginario, le groupe de Milton Nascimento. On est en 1971, on per&ccedil;oit l&rsquo;influence des Doors sur un furieux groove br&eacute;silien, le latino funk n&rsquo;est pas loin. Comme le premier Os Mutantes, Som Imaginario est un opus du psych&eacute;d&eacute;lisme br&eacute;silien.

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Qui pour un &ldquo;triple crochet&rdquo; apr&egrave;s tricotage cadenc&eacute; ?

L&agrave;, il faut de l&rsquo;endurance, on passe donc en 1980, avec un titre souffl&eacute; par Yamani* de Blue Cheese Records&nbsp;: Maracana de Azymuth. Rien de tel pour c&eacute;l&eacute;brer le temple du football br&eacute;silien que ce groupe de jazz rock qui, en g&eacute;n&eacute;ral, n&rsquo;est pas du tout ma tasse de th&eacute;, mais l&agrave;, on est instantan&eacute;ment t&eacute;l&eacute;port&eacute; au Studio 54, &agrave; danser le mia, l&rsquo;air b&eacute;at.

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En cas d&rsquo;altercation g&eacute;n&eacute;rale, qui pourrait ramener le calme au risque de prendre &ldquo;un r&acirc;teau&rdquo;?

Os Mutantes again! Leur deuxi&egrave;me album, Mutantes, sorti en 1969 est &agrave; la hauteur du premier. David Byrne, St&eacute;r&eacute;olab et Kurt Cobain ont revendiqu&eacute; l&rsquo;influence d&rsquo;Os Mutantes, &agrave; l&rsquo;&eacute;coute de ce disque on comprend pourquoi. Les arrangements biscornus et renversants pour Byrne, les voix de filles tr&egrave;s haut perch&eacute;es comme dans une BO de film de la nouvelle vague pour St&eacute;r&eacute;olab et le c&ocirc;t&eacute; pop m&eacute;lodique au beau milieu d&rsquo;un grand bordel pour Cobain. Pour instaurer un semblant de calme, Magica, le neuvi&egrave;me titre, accompagn&eacute; de champignons devrait faire l&rsquo;affaire, mais je lui pr&eacute;f&egrave;re Caminhante Noturno, le marcheur nocturne, une &eacute;pop&eacute;e sonore entre les Beatles de Tomorrow Never Knows et les Pink Floyd p&eacute;riode Syd Barett. Mais si on ne go&ucirc;te gu&egrave;re les morceaux cin&eacute;matiques, c&rsquo;est la tuile, enfin&hellip; le r&acirc;teau assur&eacute;.

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Et pour ex&eacute;cuter une &ldquo;aile de pigeon&rdquo; sans prendre du plomb dans l&rsquo;aine?&nbsp;

Jorge Ben avec, pour le coup, une chanson sur le football, ou plus exactement sur un joueur qui s&rsquo;est pris une bonne t&ocirc;le, malade &agrave; crever sur le terrain. Son acc&egrave;s de faiblesse ne s&rsquo;entend vraiment pas musicalement, au contraire, on est dans le croisement entre le Br&eacute;sil et le funk de la Blaxploitation, les guitares wah wah de Shaft et le groove lourd.

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Pour un &ldquo;hocus pocus&rdquo;, qui s&rsquo;y collerait sine die?&nbsp;

Buraka som systema, le groupe qui a r&eacute;adapt&eacute; les rythmes et les chants br&eacute;siliens pour la g&eacute;n&eacute;ration &eacute;lectro rave. Ils sont Portugais et Africains, donc on reste en territoires fr&egrave;res, pas vraiment arnaque sur la personne, la musique br&eacute;silienne vient de l&agrave;, ils ont toute l&eacute;gitimit&eacute; pour une r&eacute;invention en mode &eacute;lectronique. Les lascars ont collabor&eacute; avec M.I.A, chez qui on observe aussi l&rsquo;influence de la rythmique br&eacute;silienne.

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Qui pour pratiquer &ldquo;la bicyclette&rdquo; sans perdre les p&eacute;dales?

D&rsquo;abord on ne touche plus terre, direction l&rsquo;Afrique du Sud &ndash; de sinistre m&eacute;moire pour les Fran&ccedil;ais &ndash;, avec Spoek Matambo et une reprise de She&rsquo;s lost control de Joy Division. On se cale un moment dans cette ambiance vaudoue, avec un clip par ailleurs tr&egrave;s r&eacute;ussi sur ce th&egrave;me. Puis on poursuit avec Tour de France de Kraftwerk, une formation de fous pratiquants obsessionnels du v&eacute;lo. L&rsquo;influence sur la musique des trente derni&egrave;res ann&eacute;es de ce groupe n&eacute; &agrave; D&uuml;sseldorf est immense&nbsp;: il est la pierre angulaire du hip hop et de l&rsquo;&eacute;lectro. En outre, il est avis&eacute; de ne jamais n&eacute;gliger le facteur Allemagne dans une phase finale de Coupe du monde. Pour le meilleur ou pour le pire...

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Quelques noms pour les habitu&eacute;s de la touche de remplacement?

Projection en 2005 avec CSS, cansei sei sexy, un groupe de filles furieuses, des riot girls br&eacute;siliennes, un premier album m&ecirc;lant punk, post punk et disco 80&rsquo;s sur des paroles dr&ocirc;les et sacr&eacute;ment culott&eacute;es (Art Bitch, Meeting Paris Hilton, Css Suxxx). Et&hellip; plus rien d&rsquo;int&eacute;ressant depuis. 25 ans plus t&ocirc;t, en 1980, les AC mercenarias &ndash; avec One trick wonder &ndash; font figures de m&egrave;res spirituelles. Comme les Slits ou les Raincoats en Angleterre, ou encore la No Wave &agrave; New York avec Lydia Lunch, on se situe dans le f&eacute;minisme post punk, une musique sans concession, urbaine et froide, avec la langue portugaise pour seule r&eacute;miniscence br&eacute;silienne. L&agrave; aussi, carri&egrave;re courte, &ccedil;a faisait partie de l&rsquo;&eacute;thique.

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Et pour une bonne &ldquo;frappe enroul&eacute;e&rdquo; sans bourse d&eacute;lier?

Pas d&rsquo;h&eacute;sitation&nbsp;: Youtube, pour d&eacute;couvrir toutes ces raret&eacute;s y compris celles jamais r&eacute;&eacute;dit&eacute;es et certains moments d&rsquo;anthologie, comme Os Mutantes &agrave; la t&eacute;l&eacute; fran&ccedil;aise en 1968.

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Qui pour assurer un &ldquo;double contact&rdquo; sans perdre de vue l&rsquo;objectif?

En 1968, sur la sc&egrave;ne Tropicalia, le double contact est permanent, tout le monde joue avec tout le monde, et en particulier Os Mutantes se retrouve derri&egrave;re Gil, Veloso ou Ben. L&rsquo;&eacute;poque est au jam, &agrave; l&rsquo;improvisation et &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rimentation. Hautement recommandable, le double contact entre Gaetano Veloso et Os Mutantes, l&rsquo;album du m&ecirc;me nom, ultra-politique. Il est interdit d&rsquo;interdire, pi&egrave;ce centrale du disque, est un stand up de Veloso sur une improvisation d&rsquo;Os Mutantes proche du free jazz de Coleman, des Stooges et du MC5.

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Si l&rsquo;on oublie in cauda venenum, qui pourrait att&eacute;nuer l&rsquo;angoisse du gardien de but au moment du penalty en effectuant le &ldquo;coup du scorpion&rdquo; sans pour autant que ce soit trop piqu&eacute; des hannetons?

La question me remplit de perplexit&eacute;... Pour apaiser mon stress au moment de r&eacute;pondre j&rsquo;&eacute;coute Rive Razao sur l&rsquo;album Cru de Seu Jorge. Ce musicien et acteur ne masque pas ses influences&nbsp;: Milton Nascimento, Jorge Ben, Gilberto Gil. La boucle est boucl&eacute;e, Tropicalia a ses h&eacute;ritiers de plein droit.

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Sachant que moins de 2% des attaques conduisent au but contre 80% au basket-ball, et que le principe du football consiste &agrave; &ldquo;mettre l&rsquo;adversaire en crise de temps et d&rsquo;espace&rdquo;, quel morceau d&eacute;pressif pr&eacute;conisez-vous contre l&rsquo;&eacute;quipe adverse?

Refuse/Resist de Sepultura, le groupe br&eacute;silien phare du death metal des 90&rsquo;s qui incorporait des percussions d&rsquo;Amazonie dans son mur du son. Pendant trois minutes, &ccedil;a peut avoir son charme, ensuite &ccedil;a vrille la t&ecirc;te. Le genre de morceaux utilis&eacute;s &agrave; Guantanamo, dit on.

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Quel technicien de surface de r&eacute;paration?

Il n&rsquo;y a pas mieux que Cosa Nostra pour nettoyer une surface. Ce morceau d&rsquo;Erlon Chavez (1971) est encore une trouvaille de l&rsquo;expert Yamani. D&rsquo;une simplicit&eacute; confondante, la chanson liste ceux qui font et ce qui fait notre cause, de Jorge Ben au king Pel&eacute;, &agrave; la Coupe du monde, aux filles m&eacute;tisses, au rhum et au carnaval. BO id&eacute;ale pour un petit shoot best of des buts br&eacute;siliens sur Youtube.

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Et pour le &ldquo;coup de sombrero&rdquo;, qui porterait le chapeau?&nbsp;

Ceux qui l&rsquo;ont port&eacute;, c&rsquo;est Gilberto Gil et Gaetano Veloso. A l&rsquo;&eacute;poque, l&rsquo;activisme de Tropicalia et de ses leaders ne pla&icirc;t pas du tout &agrave; la dictature militaire. Gil et Veloso sont emprisonn&eacute;s en 1969. Tropicalia, Panis et circenses (1968) est le disque manifeste du mouvement, un impeccable coup de sombrero.

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Enfin, qui pour c&eacute;l&eacute;brer la 91e minute?

Super god de Som Imaginario tir&eacute; du premier album du groupe. Si apr&egrave;s cela vous n&rsquo;avez pas la banane, il faut consulter, c&rsquo;est grave docteur.

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<a href="http://www.lachose.fr">www.lachose.fr</a> 
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*Big Smile Bazaar, 6, rue du Ponceau, Paris 2,  T. 09 83 89 83 32. 
Yamani a rassembl&eacute; un fonds de 30&nbsp;000 vinyls collect&eacute;s de par le monde.

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Quand Eric Tong Cuong nous parle de foot et de musique... du grand art !

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