Historienne et critique d’art, activiste LGBT, Élisabeth Lebovici publie un ouvrage dense où elle analyse les ressorts de la lutte contre le sida, menée à travers l’art et l’activisme des années 1980-1990. Plus que jamais d’actualité. 

P&egrave;re, figure historique de la psychanalyse et de la psychiatre de l&rsquo;enfant. M&egrave;re, professeure de math&eacute;matiques puis psychanalyste. S&oelig;ur, psychiatre, psychanalyste. Voil&agrave; pour la famille cellulaire. No more comment. &Eacute;lisabeth Lebovici entend, &agrave; l&rsquo;&acirc;ge qui est le sien, ne plus &ecirc;tre &ldquo;la fille de&rdquo;. Telle qu&rsquo;en elle-m&ecirc;me, regard taill&eacute; &agrave; la serpette, sourire rare mais parole g&eacute;n&eacute;reuse. Et pr&eacute;cise. Les classiques, elle les conna&icirc;t bien. Tout lu de la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise. Y compris les auteurs de la seconde partie du si&egrave;cle dernier&nbsp;: Georges Perec, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Christiane Rochefort&hellip; Et Monique Wittig, dont L&rsquo;Opoponax (prix M&eacute;dicis en 1964), allait marquer d&rsquo;un sceau in&eacute;dit, y compris outre-Atlantique, la mani&egrave;re du r&eacute;cit de l&rsquo;enfance et des jeunes ann&eacute;es, &agrave; la d&eacute;couverte d&rsquo;un corps lesbien. La m&ecirc;me Wittig qui, en une sorte de happening solennel, d&eacute;posait une gerbe sous l&rsquo;Arc de Triomphe, en hommage &agrave; &ldquo;la femme du soldat inconnu&rdquo;. C&rsquo;&eacute;tait en 1970, elle cofondait tout juste le MLF, et &Eacute;lisabeth Lebovici venait d&rsquo;avoir 17 ans. La litt&eacute;rature am&eacute;ricaine entrerait bient&ocirc;t dans son territoire, &agrave; commencer par John Dos Passos et Philip K. Dick&hellip; &ldquo;Je lisais sans rel&acirc;che. Lire constituait un rempart&rdquo;, indique-t-elle. Rampe de lancement en b&eacute;ton arm&eacute; vers tous les combats de la vie.

&Agrave; commencer par celui d&rsquo;une voie &agrave; rebours de celle dict&eacute;e par l&rsquo;h&eacute;r&eacute;dit&eacute;, port&eacute;e sur l&rsquo;&eacute;coute et la parole. En mani&egrave;re de prise de distance, Lebovici se consacre ainsi &agrave; des &eacute;tudes de philosophie et d&rsquo;histoire de l&rsquo;art. &ldquo;J&rsquo;ai fait le choix d&rsquo;une discipline du visuel et non de l&rsquo;empathie que suppose la psychanalyse.&rdquo; Avant d&rsquo;y adjoindre une distance g&eacute;ographique en tra&ccedil;ant une franche diagonale, direction New York (1979), o&ugrave; elle est admise &ndash; dans le cadre du Whitney Independent Study Program &ndash;, &agrave; suivre un cursus d&rsquo;&eacute;tudes de commissariat d&rsquo;exposition d&rsquo;une dur&eacute;e de six mois. Elle y demeurera trois ans. Modifiant son sujet de th&egrave;se initial au profit d&rsquo;un th&egrave;me nourri de la r&eacute;alit&eacute; locale&nbsp;: &ldquo;L&rsquo;Argent dans le discours des artistes am&eacute;ricains, 1980-81&rdquo;, sous la direction de Gilbert Lascault. Exp&eacute;rience new-yorkaise fondatrice. Elle fait la rencontre de tr&egrave;s nombreux artistes &ndash; dont l&rsquo;embl&eacute;matique Nan Goldin, qui montre alors ses premiers diaporamas dans des bo&icirc;tes de nuit &ndash;, mais voit l&rsquo;irruption dans son existence de l&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie du sida. La confinant, dans un premier temps, dans une sid&eacute;ration gla&ccedil;ante, face &agrave; la multiplication des malades et des morts dans son cercle proche. Faire acte, t&eacute;moigner. D&eacute;bute alors pour elle un volet qui constituera sa marque de fabrique : la critique d&rsquo;art, qu&rsquo;elle pratique pour plusieurs supports. Dont Beaux-Arts Magazine, dont elle fut cor&eacute;dactrice en chef, et Lib&eacute;ration. Grande &eacute;poque. On la sait ombrageuse, guerri&egrave;re. Forte de son savoir et de ses convictions. Implacable avec les faux-semblants des pouvoirs publics, sourds et aveugles aux ravages de l&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie. En rage, donc en lutte, contre les laboratoires qui commercialisent des traitements &agrave; des prix inhumains. &ldquo;C&rsquo;&eacute;tait une &eacute;poque de grand &eacute;nervement, nombre de sujets donnaient mati&egrave;re &agrave; exprimer sa col&egrave;re&rdquo;, dit-elle. Notamment pour conqu&eacute;rir, imposer la visibilit&eacute; d&eacute;ni&eacute;e aux malades, la prise en consid&eacute;ration refus&eacute;e aux lesbiennes. Combat dans le combat. &Agrave; l&rsquo;hiver 1991, son coll&egrave;gue du service culture, le critique de cin&eacute;ma Serge Daney, d&eacute;clarait&nbsp;: &ldquo;La question que ces temps veules posent est bien : &lsquo;Qu&rsquo;est-ce qui r&eacute;siste ?&rsquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce qui r&eacute;siste au march&eacute;, aux m&eacute;dias, &agrave; la peur, au cynisme, &agrave; la b&ecirc;tise, &agrave; l&rsquo;indignit&eacute;&nbsp;? La r&eacute;ponse actuelle, la r&eacute;ponse romantique, semble &ecirc;tre de nouveau : l&rsquo;art.&rdquo; Quelques mois apr&egrave;s, il mourait du sida. Act Up avait &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute;e en 1987 &agrave; New York, deux ans apr&egrave;s une entit&eacute; ind&eacute;pendante &eacute;mergeait &agrave; Paris. &Eacute;lisabeth Lebovici y milite activement de 1994 &agrave; 1999. Le deuil, la tristesse, l&rsquo;impuissance se sont mu&eacute;s en volont&eacute; d&rsquo;action.

En mati&egrave;re d&rsquo;engagement, elle a accompli le parcours &agrave; contresens : la lutte initiale contre le sida la mobilise dans le combat contre l&rsquo;homophobie et la misogynie. Ses recherches s&rsquo;attachent &agrave; identifier et d&eacute;finir les relations entre f&eacute;minisme, &eacute;tudes de genres, politiques queer, activisme LGBT et art contemporain. En 2007, la parution de Femmes artistes/Artistes femmes. Paris, de 1880 &agrave; nos jours (Hazan), co&eacute;crit avec Catherine Gonnard, contribue &agrave; apporter un &eacute;clairage essentiel, soulignant notamment l&rsquo;absence marquante des femmes artistes dans les mus&eacute;es. De m&ecirc;me, le s&eacute;minaire auquel elle participe &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole des hautes &eacute;tudes en sciences sociales (EHESS), &ldquo;Something you should know : artistes et producteurs aujourd&rsquo;hui&rdquo;, en donnant la parole &agrave; des artistes, commissaires d&rsquo;expositions, critiques, continue d&rsquo;interroger et d&rsquo;explorer. Sentinelle en veille permanente, Lebovici se d&eacute;finit par son activisme, une vitalit&eacute;, une pulsion de vie irrigu&eacute;e par le travail accompli sur des sujets qui rel&egrave;vent du politique. &ldquo;La col&egrave;re est une fa&ccedil;on de militer&rdquo;, souligne-t-elle. De refuser l&rsquo;inacceptable. Non sans humour. Lorsque, en 2012, la Manif pour tous reprend &agrave; son profit les dispositifs et outils dont Act Up avait fait usage (slogans, banderoles, T-shirts&hellip;) affirmant &ldquo;Non au mariage homosexuel&rdquo;, &ldquo;Non &agrave; l&rsquo;adoption&rdquo; ou &ldquo;Non &agrave; la PMA&rdquo;, Lebovici fonde, avec quelques coreligionnaires, le collectif Oui Oui Oui. &ldquo;Je me place du c&ocirc;t&eacute; de la vie, de l&rsquo;avenir&rdquo;, souligne-t-elle, sans baisser la garde. La question du corps des femmes dans l&rsquo;espace public continue de figurer au rang de ses sujets de r&eacute;flexion. &ldquo;Les discussions autour du port du voile nous le rappellent. On parle &agrave; la place des femmes, la pr&eacute;sence de leur corps en ext&eacute;rieur reste un enjeu.&rdquo; Et une bataille.

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&Agrave; LIRE - &Agrave; VOIR

&bull;Elisabeth Lebovici, Ce que le sida m&rsquo;a fait, art et activisme &agrave; la fin du XXe si&egrave;cle, co&eacute;dition La maison rouge &ndash; Fondation Antoine de Galbert &amp; JRP Ringier, juin 2017, 320 p (90 ill.), 19,50 &euro;. 

&bull;Elisabeth Lebovici participe au colloque Alain Buffard les 6, 7, 8 octobre au Centre national de la Danse, <a href="http://www.cnd.fr">http://www.cnd.fr</a>

&bull;Elle inaugure, en dialogue avec Philippe Mangeot, les &ldquo;Dialogues de la Salle Labrouste&rdquo;, organis&eacute;s par l&rsquo;INHA (Zahia Rahmani et Olivier Mabille), le 20 octobre, 58, rue de Richelieu, 75002 Paris (entr&eacute;e libre).

&bull;son blog : <a href="http://le-beau-vice.blogspot.fr">http://le-beau-vice.blogspot.fr</a>

Alain Buffard, Good Boy, 1998, Représentation à la Ménagerie de Verre, Paris, 1998.

Ben Blackwell, Group Material, AIDS Timeline, Vue d'exposition, MATRIX Gallery, Berkeley Art Museum, University of California, Berkeley, novembre 1989-janvier 1990

Déploiement d'une banderole rue de Rennes pendant la Lesbian and Gay Pride, Paris, 1995, Carte Postale d'apräs une photographie d'Orion Delain, archives de l'auteure, Elisabeth Lebovici.

Elisabeth Lebovici, Place de la République, Paris, 1er décembre 1996, publiée dans Action-la lettre mensuelle d'Act Up-Paris, n¯44.

Elisabeth Lebovici∏, Couverture, Ce que le sida m'a fait.jpg

fierce pussy, série family pictures and found photos, 1991-1992.

fierce pussy, AIDS, Elisabeth Lebovici.

Flyers du Time Square Show, 1980, The Andrea Callard Papers.

Flyers du Time Square Show, 1980, The Ron Kolm Paper.

General Idea, Affiches AIDS, 1987-1988, Intervention dans les rues de San Francisco, 1988, Sérigraphies sur papier, 68,4 x 68,5 cm chaque.

Journée mondiale contre le sida, rue de Rennes, Paris, 1er décembre 1994, Diane Gabrysiak & Anne Maniglier.

Keith Haring, carton d'invitation à son exposition New Drawings, [galerie] des Refusés, Westbeth Painters Space, New York, 1981.

The AIDS Memorial Quilt - The NAMES Project, prÇsentation en blocs sur le Mall de Washington, 1995.

Tract produit pour la Journée mondiale contre le sida en commémoration aimante de l'AIDS Awareness Coalition de Bellingham, non daté, archive de l'auteure, Elisabeth Lebovici.

Elisabeth Lebovici : "La colère est une façon de militer"

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