Perrier-Jouët fait pétiller Design Miami
Propos recueillis par Yamina Benaï
L’OFFICIEL : Comment définiriez-vous l’identité de la maison Perrier-Jouët ?
AXELLE DE BUFFEVENT : L’identité de la maison Perrier-Jouët se déroule en trois axes. En premier lieu elle est caractérisée par son vin, notamment le Chardonnay très spécifique à la maison. Un vin doté de fraîcheur et vivacité, merveilleusement incarné par la nouvelle cuvée que nous avons lancée récemment : le Blanc de Blancs. Moment important car il n ‘y avait pas eu de nouvelle cuvée chez Perrier-Jouët depuis une vingtaine d’années. Nous aimons prendre le temps de la création… D’autre part, l’identité de la maison se définit également dans sa dimension artistique, notamment avec la bouteille emblématique dessinée par Emile Gallé en 1902. Mais en réalité, cette inclination artistique est bien antérieure, car elle trouve sa source dans la passion de Pierre Nicolas Perrier et Rose-Adélaïde Jouët pour la botanique et l’art. Les frémissements de l’Art Nouveau étaient donc initialement inscrits dans la maison. Cet attachement pour l’art se transmettra ainsi de génération en génération. Enfin, l’identité Perrier-Jouët est liée à un certain art de vivre, la façon dont la maison créé un moment autour de la consommation, ce que je nommerais “l’art du ré-ensauvagement”, art of the wild. L’idée d’une nature réinventée, invitée à reprendre ses droits et à investir le quotidien ; une conception, en somme, très proche de l’Art Nouveau. Ces trois facettes de l’identité sont intimement liées.
A quels types de dégustateurs le Chardonnay, caractéristique de Perrier-Jouët, s’adresse-t-il ?
Le Chardonnay exprime une grande légèreté en bouche, délivrant une sensation de fraîcheur. Il s’adresse donc à un public en recherche de ce moment unique de la dégustation, dans une volonté de saisir ce qui est offert en un instant précis. L’identité de la maison renferme cette propension à prendre du temps pour les choses, pour apprécier, déguster, mais aussi pour préparer les bouteilles: le Chardonnay reste ainsi sept ans en cave, entre ombre et lumière. Nous sommes donc bien loin de la frénésie du quotidien… L’Eden se traduit ainsi par un moment de pause qui, paradoxalement, peut être très énergique. Ce ré-ensauvagement s’empare également de l’urbain. Les Eden sont présents dans les grandes villes, car à travers cette expérience de dégustation Perrier-Jouët souhaite proposer des bulles d’expériences, où la nature devient souveraine.
La maison Perrier-Jouët est présente à Design Miami depuis 2012, qu’est-ce qui a motivé cette collaboration et quel regard portez-vous sur ces six années ?
Cette collaboration s’est fait jour très naturellement : aujourd’hui, cette foire constitue la plus grande plateforme de design au monde pour les collectionneurs. Nous partageons avec Design Miami une certaine philosophie : la volonté de réenchanter le quotidien. Nous y associer constituait à nos yeux une manière pertinente d’asseoir notre inscription dans un art du quotidien et un Art Nouveau qui, au fond, est très contemporain. En effet, il ne s’agit pas pour nous de porter uniquement un regard rétrospectif, en prenant comme assise la bouteille très iconique “Belle Epoque”. Nous considérons qu’il nous appartient de faire vivre un héritage magnifique, et Design Miami est la structure idoine pour porter à l’attention du plus grand nombre nos désirs d’expositions pour la marque et notre volonté de transmission. Depuis, notre implication s’est étendue à d’autres entités, puisque aujourd’hui nous avons noué des partenariats avec d’autres foires et salons, comme Sculpture by the Sea à Sydney, la Design Week de Shanghaï, le London Design Festival, la grande Art Week de Tokyo... Le concept qui sous-tend nos actions est de participer à un événement artistique de qualité, dans un environnement très urbain, en y introduisant une nature réinventée.
Comment se déroulent vos échanges avec Design Miami ?
Nous travaillons pleinement en collaboration avec Alexandra Cunningham, directrice artistique de la foire, et son équipe, pour déterminer les designers que nous souhaitons solliciter. En outre, nous participons également au programme annuel que Design Miami développe à Aspen et à Mexico. Ainsi, outre le volet axé sur le vin, qui consiste en des dégustations que nous proposons aux clients et visiteurs VIP de la foire, nous menons des commandes spécifiques auprès des artistes et designers : créations qui, après leur monstration à Design Miami, voyagent à Londres puis intègrent la maison Perrier-Jouët d’Epernay. Design Miami nous a réellement permis d’entrer dans notre mécanique actuelle de création et d’itinérance des pièces.
“Design Miami nous a réellement permis d’entrer dans notre mécanique actuelle de création et d’itinérance des pièces.”
Vous avez fait appel à l’intervention d’artistes et designers, d’une part sur le flacon même, d’autre part dans le cadre des installations présentées lors des éditions de Design Miami : comment avez-vous opéré vos choix et quels échanges avez-vous avec les créateurs dans le cadre de leurs interventions?
Nous avons toujours choisi les designers suivant les mêmes critères, à savoir que leur travail doit refléter les quatre piliers de l’Art Nouveau : l’inspiration de la nature et de sa notion de processus, l’idée d’insuffler du beau dans le quotidien, le travail de la main et la volonté de réunion des arts. Aujourd’hui, nous nous attachons à travailler avec des artistes de studio, ce qui peut d’ailleurs impliquer une part de technologie. Tous les créateurs invités commencent par un dialogue avec l’artiste de la maison, Hervé Deschamps, chef de cave. Nous avons débuté notre cycle de collaboration en 2012 avec Studio Glithero : leur installation Lost Time était très inspirée par les caves de la maison à Epernay, il s’agissait d’une série de suspensions de petites perles au-dessus d’une piscine qui, après Design Miami, a été installée dans nos caves. En 2013, nous avons travaillé avec Simon Heidjens : cette collaboration a marqué notre première incursion dans le domaine numérique. Sa réalisation, Phare n°1-9, a été l’occasion pour son auteur de définir une nouvelle technique pour dessiner dans le liquide : l’installation était composée de neuf contenants en verre remplis de liquides où se dessinaient des motifs projetés au sol et sur les murs. En 2014, le duo Mischer’Traxler nous a accompagnés durant une année entière. Leur installation, Ephemera, composée d’une grande table et de deux miroirs, est fortement inspirée par les marqueteries de la maison d’Epernay, elles-mêmes écho à des motifs Art Nouveau. Cette table où dansent des feuillages et des éléments de la nature a d’ailleurs été une inspiration majeure pour l’architecte qui a rénové la maison Belle Epoque, dévoilée en juin dernier. Cette collaboration a été si engageante que nous l’avons prolongée en passant commande à Mischer’Traxler pour une pièce montrée lors du London Design Festival. Curiosity Cloud, exposée dans la Music Room du Victoria & Albert Museum, est composée de 600 bulles de verre abritant chacune un insecte dont les mouvements génèrent la diffusion de musique tout au long de l’installation. En 2015, nous avons souhaité faire intervenir une jeune designer japonaise – Ritsue Mishima –, car nous nous attachons aussi à donner une visibilité internationale à des créateurs émergents. Avec All’ombra della luce, axée sur la lumière et directement en lien avec son expérience dans la maison d’Epernay, nous avons souhaité explorer la dimension crafts de son travail. Le bar de la maison Belle Epoque est d’ailleurs conçu autour de cette installation. Pour l’édition 2016, nous avons fait intervenir Andrew Kudless, un jeune architecte américain qui ne disposait pas encore d’une grande visibilité internationale en dehors de la France. Il a travaillé sur le concept de “processus”, notamment les différentes étapes nécessaires à la fabrication du champagne, qu’il a déconstruites pour en faire un environnement global : Strand Garden déploie une sorte de forêt en bois composée notamment d’une vasque en impression 3D réalisée à partir de la farine du raisin.
Cette année, Perrier-Jouët a sollicité le duo Luftwerk (Petra Bachmaier et Sean Gallero) : quelle est la teneur de leur création et comment s’inscrit-elle dans le “patrimoine” de Design Miami ?
Ces deux designers se sont rencontrés à Chicago durant leurs études en scénographie. En travaillant dans ce domaine, ils ont compris que la lumière y est un élément clé. Ils ont peu à peu quitté la scénographie pure pour se consacrer spécifiquement au travail autour de lumière. Domaine où ils jouissent, aujourd’hui, d’une grande reconnaissance : ils ont ainsi mis en lumière des bâtiments emblématiques de Chicago, tels la Robie House et l’Art Institue, de même que des espaces publics comme le Millenium Park. Notre projet se situe aux antipodes de leurs commandes habituelles puisqu’il s’est agi d’investir un espace intimiste d’environ 60m2. Ils ont souhaité se réapproprier l’anémone d’Emile Gallé, devenue à leur yeux l’emblème du processus de la création du champagne. Outre l’espace-même de la foire, leur projet s’étend dans la ville de Miami de façon spectaculaire. Notamment au 1111 Lincoln Road, parking situé derrière la foire. Ils mettent en lumière le bâtiment et au 7e étage une projection reprend plastiquement leur réalisation pour l’espace de la foire. A une autre échelle et dans une autre perspective, ils sont également partie prenante dans l’organisation d’un moment de dégustation de champagne proposé à l’aéroport de Miami. Cette année marque notre première initiative pour exposer un travail artistique hors de la foire, afin d’offrir à tous les publics l’occasion de voir nos installations. La semaine de Design Miami et Art Basel Miami Beach est en cela assez exceptionnelle, car elle crée de nombreux moments d’échanges, de partage.
Design Miami, adjacent au Miami Beach Convention Center,
Meridian Avenue & 19th Street,
www.perrier-jouet.com/fr-fr/