Hier était présenté au Grand Palais “Défilé pour 27 chaussures”, une performance conçue par Olivier Saillard – directeur artistique, Image et Culture de J.M. Weston – et Mathilde Monnier, dans le cadre des collections de mode masculine. Avant de retrouver prochainement sur lofficiel.com une interview vidéo d’Olivier Saillard, travelling arrière sur la rencontre en 2013, à l'occasion de sa deuxième performance avec Tilda Swinton, de celui qui était alors directeur du Palais Galliera-musée de la Mode. 

En novembre 2013, Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera, pr&eacute;sentait Eternity Dress &agrave; l&rsquo;Ecole des Beaux-Arts, sa deuxi&egrave;me performance mettant en sc&egrave;ne Tilda Swinton. Rencontre avec un homme lib&eacute;r&eacute; de toute entrave &agrave; la r&eacute;flexion, un homme concentr&eacute; sur son travail, tout &agrave; la fois grave et spirituel, conscient de ses peurs mais pr&ecirc;t &agrave; les pourfendre, sans la moindre esquive.

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Olivier Saillard accueille le visiteur dans son bureau mansard&eacute; du Palais Galliera. Le visage dit son &acirc;ge, mais &eacute;galement celui d&rsquo;un jeune homme, studieux. Dans un &eacute;clat de rire imm&eacute;diatement communicatif, il indique que le jour de l&rsquo;inauguration du Palais Galliera, il a perdu une couronne... dentaire. S&rsquo;en est suivie une rage de dents apais&eacute;e &agrave; la morphine, d&rsquo;o&ugrave; un beau voyage immobile, assorti toutefois d&rsquo;effets ind&eacute;sirables, dont &ldquo;d&rsquo;insoutenables naus&eacute;es&rdquo;. Perdre sa couronne le jour du sacre officiel, s&rsquo;amuse-t-on &agrave; souligner, dr&ocirc;le d&rsquo;affaire&nbsp;! L&rsquo;ironie en mani&egrave;re de masque de la gravit&eacute;, voil&agrave; une parcelle de Saillard. L&rsquo;homme a toujours chemin&eacute; hors-piste. Au lointain du circuit classique des conservateurs de mus&eacute;es. Une enfance dans le Doubs, &eacute;maill&eacute;e d&rsquo;une multitude de livres comme rempart &agrave; l&rsquo;ennui. Au sein d&rsquo;une famille nombreuse, chercher-trouver sa place. Apprendre, oser et imposer son &ldquo;je&rdquo;. Tr&egrave;s t&ocirc;t une id&eacute;e fixe, le v&ecirc;tement. Le dessiner, l&rsquo;&eacute;crire dans Le Grand Couturier, journal d&rsquo;Olivier. Un dipl&ocirc;me d&rsquo;histoire de l&rsquo;art, l&rsquo;impulsion et le patronage de Nadine Gasc, historienne de la mode et grande figure parisienne, suivie d&rsquo;une mise sur orbite par Bernard Blist&egrave;ne, et le voici &agrave; 27 ans &ndash; fort d&rsquo;un savoir patrimonial &ndash;, plac&eacute; &agrave; la t&ecirc;te du Mus&eacute;e de la Mode de Marseille. Saillard peut alors rendre publique sa sensibilit&eacute; si pleinement singuli&egrave;re. Ses expositions ont fait date, telles &ldquo;L&rsquo;envers&rdquo; ou &ldquo;L&rsquo;imprim&eacute; Mondrian&rdquo;. En 2002, retour &agrave; Paris, o&ugrave; il est appel&eacute; &agrave; &eacute;tablir la programmation du Mus&eacute;e des Arts d&eacute;coratifs, puis &agrave; diriger le Palais Galliera. Destin&eacute; &agrave; &ecirc;tre inaugur&eacute;... trois ans plus tard seulement. De quoi ouvrir grand les vannes de l&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; galopante mais fertile de cette t&ecirc;te chercheuse, rarement au repos. Identifier et tenter des solutions, tel l&rsquo;artiste face &agrave; la toile blanche. N&eacute;s d&rsquo;une d&eacute;pression &agrave; plein r&eacute;gime, voici donc les Po&egrave;mes-paniques. Nourris de citations relatives au v&ecirc;tement, glan&eacute;es dans les journaux, rayon faits divers, et chez les &eacute;crivains, puis trac&eacute;s sur de simples Post-it. Saccades frappantes, tels des ha&iuml;kus, ou encore des lignes-forces de Ren&eacute; Char&nbsp;: &ldquo;Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne m&eacute;rite ni &eacute;gards ni patience.&rdquo; Son travail d&rsquo;&eacute;criture po&eacute;tique lui fait remporter une r&eacute;sidence de six mois &agrave; la Villa Kujoyama, au Japon, l&rsquo;&eacute;quivalent de la Villa M&eacute;dicis. L&rsquo;acquisition d&rsquo;une l&eacute;gitimit&eacute; suppl&eacute;mentaire l&rsquo;incite &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; de nouvelles inventions, au-del&agrave; de la zone (re)connue. Elargir son champ de batailles, l&agrave; est n&eacute;e l&rsquo;id&eacute;e de performance, exp&eacute;riment&eacute;e &agrave; de nombreuses reprises, notamment avec Violeta Sanchez, ex-mannequin et figure r&eacute;currente d&rsquo;Helmut Newton.

“Le grand barnum de la beauté de certaines femmes ne m’intéresse pas.” OS

Cette saison, et pour la deuxi&egrave;me ann&eacute;e cons&eacute;cutive, le Festival d&rsquo;automne lui offre une tribune. Il a de nouveau &eacute;lu Tilda Swinton, rencontr&eacute;e il y a deux ans par le biais de la photographe Katerina Jebb. Swinton a imm&eacute;diatement accept&eacute;. Pourquoi elle&nbsp;? &ldquo;Car elle est pr&eacute;sente-absente, fille ou gar&ccedil;on, selon. Beige, m&ecirc;me, comme la pierre de Galliera. Elle peut para&icirc;tre vingt ans comme quatre-vingts ans. Elle est un socle, un pr&eacute;sentoir.&rdquo; El&eacute;ment invisible donc, bien qu&rsquo;essentiel. Envisagerait-il la confrontation entre le v&ecirc;tement et une personne au physique tr&egrave;s puissant, percutant, dans sa beaut&eacute; frontale ou son &eacute;tranget&eacute;&nbsp;? &ldquo;J&rsquo;avais song&eacute; &agrave; Rossy de Palma. Mais cela ne fonctionnerait pas, car la dimension burlesque surgirait et prendrait le pas.&rdquo; Quelles autres figures f&eacute;minines occupent son panth&eacute;on cr&eacute;atif&nbsp;? &ldquo;Claudia Triozzi. Une chor&eacute;graphe pour chor&eacute;graphe.&rdquo; Un travail d&rsquo;acc&egrave;s difficile, &agrave; mi-chemin entre danse, musique, po&eacute;sie, comme l&rsquo;avait montr&eacute; sa performance &agrave; la Fondation Cartier. Et dans son univers esth&eacute;tique&nbsp;? &ldquo;J&rsquo;aime avant tout Anna Magnani, une vraie femme qui vous renverse et vous trouble. Maria Casar&egrave;s aussi. Le grand barnum de la beaut&eacute; de certaines femmes ne m&rsquo;int&eacute;resse pas.&rdquo;

ETERNITY DRESS 20_01.30.10.06.tif

Dans la pr&eacute;c&eacute;dente performance, The Impossible Wardrobe, il s&rsquo;agissait pour Tilda Swinton gant&eacute;e et v&ecirc;tue d&rsquo;une blouse blanche, de porter &agrave; bout de bras des v&ecirc;tements exhum&eacute;s des archives du Palais Galliera. A pr&eacute;sent, Eternity Dress nous conduit &agrave; la source, vers la pr&eacute;histoire du v&ecirc;tement, puisque le th&egrave;me en est la gen&egrave;se d&rsquo;une robe. Dessin&eacute;e par Saillard, et confectionn&eacute;e tout au long de la performance. &ldquo;Apr&egrave;s avoir pr&eacute;sent&eacute; des pans d&rsquo;histoire entre les mains de Tilda Swinton, nous mettons en &eacute;vidence le patrimoine gestuel, en nous interrogeant sur la nature des gestes les plus archa&iuml;ques. Autant d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments que l&rsquo;on ne pourra jamais conserver dans les mus&eacute;es.&rdquo; Montrer l&rsquo;intangible, la m&eacute;moire, travailler sur le processus du &lsquo;&ldquo;faire&rdquo;, dans ce qui pourrait &ecirc;tre l&rsquo;&eacute;comus&eacute;e de la mode. Olivier Saillard avait une approche pr&eacute;cise du d&eacute;roul&eacute; que Tilda Swinton a enrichie, en participant &agrave; l&rsquo;&eacute;laboration de la performance. &ldquo;Elle donne des id&eacute;es et offre beaucoup d&rsquo;elle-m&ecirc;me&rdquo;, pr&eacute;cise-t-il. Analyser les gestes liminaires et les mettre en sc&egrave;ne&nbsp;: prendre une r&egrave;gle pour poser des volumes sur le papier, d&eacute;rouler un m&egrave;tre pour relever les mesures... cette ex&eacute;g&egrave;se a &eacute;t&eacute; r&eacute;v&eacute;l&eacute;e en duo. Pour The Impossible Wardrobe, tous deux avaient d&eacute;j&agrave; exp&eacute;riment&eacute; l&rsquo;id&eacute;e du geste, afin d&rsquo;identifier la mani&egrave;re de tenir les v&ecirc;tements.

 
Un long cheminement que l&rsquo;on retrouve dans Eternity Dress, o&ugrave; s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute; le m&ecirc;me processus d&rsquo;apprentissage. &ldquo;Je sais coudre, dit Saillard, mais je ne savais pas couper, ni mod&eacute;liser, aussi je voulais voir et exp&eacute;rimenter toute la m&eacute;canique.&rdquo; Cette odyss&eacute;e technique a &eacute;t&eacute; favoris&eacute;e par la Maison Chlo&eacute; dont le pr&eacute;sident, Geoffroy de la Bourdonnaye, avait manifest&eacute; son int&eacute;r&ecirc;t pour le travail d&eacute;velopp&eacute; par Saillard. Ainsi, outre le financement de la performance, la maison a mis &agrave; disposition des ateliers, des mod&eacute;listes, des patronniers et un studio de r&eacute;p&eacute;tition. Ce qui a offert toute latitude au changement de partition, au feuilletage au gr&eacute; des chapitres. &ldquo;Je ne suis pas fig&eacute; sur des id&eacute;es ind&eacute;boulonnables, indique Saillard, faire des tentatives, mettre en dramaturgie et observer le r&eacute;sultat, voil&agrave; ce qui m&rsquo;int&eacute;resse.&rdquo; Ainsi, au moment de notre rencontre, &agrave; quelques semaines de la performance, il s&rsquo;accorde le plein droit au repentir. Pour pr&eacute;senter, en finale, une seule robe, il d&eacute;ploie vingt phases de robes&nbsp;: &ldquo;le dispositif est peut-&ecirc;tre un peu trop lourd, on doit se d&eacute;lester de certaines &eacute;tapes, et probablement supprimer la moiti&eacute; de la performance pour s&rsquo;&eacute;terniser un peu ailleurs, ne retenir que ce que l&rsquo;on fait concr&egrave;tement afin d&rsquo;expliquer la m&eacute;moire du geste. C&rsquo;est un peu une conf&eacute;rence cette performance&rdquo;, un work in progress de 45 min, destin&eacute; &agrave; percer &agrave; jour la trame du tissu. Pour parvenir &agrave; la robe bleu marine &agrave; dos cuill&egrave;re, sobre et sophistiqu&eacute;e, issue du travail accompli en temps r&eacute;el, Tilda Swinton, en adoptant une gestuelle sp&eacute;cifique, &eacute;volue comme si elle d&eacute;filait chez Yohji Yamamoto, chez Chanel, chez Balenciaga, ou chez Margiela. Et la d&eacute;monstration est convaincante car il s&rsquo;agit que Swinton &ocirc;te une hauteur de talon, adopte un geste diff&eacute;rent, et la robe devient celle de couturiers du pass&eacute; ou de cr&eacute;ateurs d&rsquo;avenir. La production de m&eacute;moires gestuelles dissemblables r&eacute;invente une robe qui appartient &agrave; tous ces concepteurs, une robe universelle.

“Il faut restituer de la tendresse à ce rapport au faire soi-même, et à l’usage que l’on a de ses propres vêtements.” OS

Saillard est pr&eacute;sent sur sc&egrave;ne, et souvent, aupr&egrave;s de Tilda Swinton. Ils habitent l&rsquo;espace, en une chor&eacute;graphie, un boug&eacute; &agrave; la fois naturel, spontan&eacute; et ma&icirc;tris&eacute;. Ainsi, cette s&eacute;quence o&ugrave; tous deux d&eacute;coupent la robe au sol, &ldquo;tels des raboteurs de parquets&rdquo;, indique Saillard. &ldquo;On confectionne une robe mais, ce faisant, Tilda Swinton et moi devons pouvoir nous parler librement, comme lors d&rsquo;une s&eacute;ance de travail en atelier.&rdquo; Il en r&eacute;sulte des instants magnifi&eacute;s, comme ces moments o&ugrave; Tilda Swinton prend la parole pour scander les diff&eacute;rentes &eacute;tapes pr&eacute;paratoires (tour de t&ecirc;te, tour de taille, ligne de saign&eacute;e...), auxquelles Olivier Saillard r&eacute;pond en livrant les mensurations. De ce vocabulaire propre aux ateliers de couture, l&rsquo;oreille tend &agrave; ne retenir que la po&eacute;sie&nbsp;: voile de nudit&eacute; (longue tunique de tissu fin port&eacute; &agrave; m&ecirc;me la peau pour les prises de mensurations), toile de corps (qui permet de conserver un double des mensurations pour le sur-mesure)... Assez troublant dans la trame narrative de cette pi&egrave;ce, comme la r&eacute;invention d&rsquo;un genre litt&eacute;raire. Ce serait alors une nouvelle&nbsp;: r&eacute;cit bref, dense et pr&eacute;cis. Un condens&eacute; de c&eacute;r&eacute;monie archa&iuml;que tr&egrave;s ritualis&eacute;e. 
 
Prendre la roulette &agrave; patron, saisir les ciseaux, coudre sur le mod&egrave;le... autant de gestes beaux et sens&eacute;s, mais dont le caract&egrave;re rationnel se dissipe tout au long de la performance, comme l&rsquo;imperturbable surface de l&rsquo;eau peut s&rsquo;&eacute;mouvoir au contact du souffle. Outre le fait de magnifier le savoir-faire, Eternity Dress est une analyse du temps du &ldquo;faire&rdquo;. Car, indique Saillard, &ldquo;il faut restituer de la tendresse &agrave; ce rapport au faire soi-m&ecirc;me, et &agrave; l&rsquo;usage que l&rsquo;on a de ses propres v&ecirc;tements.&rdquo; C&rsquo;est cette tendresse-l&agrave; accord&eacute;e &agrave; la r&eacute;alisation du v&ecirc;tement que la pratique des d&eacute;fil&eacute;s, de plus en plus brefs, a banalis&eacute;e. &ldquo;La dur&eacute;e des d&eacute;fil&eacute;s s&rsquo;est &eacute;tiol&eacute;e&nbsp;: deux heures dans les ann&eacute;es 1950, quarante minutes dans les ann&eacute;es 1960, vingt minutes dans les ann&eacute;es 1980 et sept minutes aujourd&rsquo;hui&rdquo;, pr&eacute;cise Saillard. Sept minutes pour pr&eacute;senter quatre-vingts robes, contre quarante-cinq minutes pour mettre en sc&egrave;ne une seule robe. &ldquo;Moi, je montre ce pour quoi j&rsquo;aime la mode&rdquo;. Une proximit&eacute; fort &eacute;loign&eacute;e de la surproduction et de la sur-acquisition. &ldquo;Les gens qui ont un dressing surpeupl&eacute;, je trouve cela suspect. Il y a suffisamment de mani&egrave;res d&rsquo;avoir de la fantaisie.&rdquo; Lui, en arch&eacute;ologue du v&ecirc;tement, appr&eacute;cierait de voir porter des habits raccommod&eacute;s qui, comme un homme, une femme, d&eacute;voileraient les signes du temps. Poss&eacute;der tr&egrave;s peu de v&ecirc;tements et s&rsquo;habiller autour d&rsquo;une forme, arborer le m&ecirc;me v&ecirc;tement d&eacute;clin&eacute;, devenir une sorte de pictogramme, sans &ecirc;tre la caricature de soi-m&ecirc;me. Tel est le souhait d&rsquo;Olivier Saillard, mis en application par Tilda Swinton qui d&eacute;clarait qu&rsquo;elle pourrait parfaitement d&eacute;cider de porter la robe d&rsquo;Eternity Dress durant une ann&eacute;e &agrave; toutes les repr&eacute;sentations officielles, comme pour maintenir l&rsquo;espace-temps de la performance. Et Saillard de lui proposer de cr&eacute;er des sortes d&rsquo;aiguilles-bijoux dont elle pourrait orner le v&ecirc;tement &agrave; sa guise. 
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Cette approche tr&egrave;s distanci&eacute;e de la mode, c&rsquo;est la signature Saillard. Une enti&egrave;re lucidit&eacute; sur le grand mercato, et les mots pour le dire. &ldquo;Je ne veux pas que l&rsquo;on me raconte des mensonges.&rdquo; Et de citer l&rsquo;une de ses phrases favorites de Godard&nbsp;: &ldquo;il y a trop d&rsquo;artistes, pas assez d&rsquo;art&rdquo;. Ses &ldquo;artistes&rdquo; &agrave; lui, ils sont une courte poign&eacute;e. Ce sont ceux qui ne travaillent pas pour la mode, mais pour eux, Alaia et Rei Kawabuko en pole position. Mais &eacute;galement Junya Watanabe, Nicolas Ghesqui&egrave;re et Martin Margiela. Concentr&eacute;s sur une sobri&eacute;t&eacute; th&eacute;&acirc;trale, d&eacute;veloppant un vrai point de vue, loin de l&rsquo;argument &eacute;conomique enseign&eacute; aujourd&rsquo;hui. Le reste, c&rsquo;est &ldquo;la course aux tendances, l&rsquo;industrie du s&eacute;diment.&rdquo; Mais le temps de l&rsquo;accalmie est venu, loin de la profusion. Dans la mode, &ldquo;comme en litt&eacute;rature d&rsquo;ailleurs&rdquo;, indique-t-il. Saillard est un pisteur, un &eacute;claireur. Qui sait lire dans le magma d&rsquo;une multitude d&rsquo;empreintes, ou au contraire d&eacute;finir &agrave; partir de poussi&egrave;res d&rsquo;indices.

“La mode, la cadence hystérique des collections, la nudité, les fashion weeks sont tellement omniprésentes qu’il m’importait de retrouver le temps.” OS

Lui qui a d&eacute;clar&eacute; &ldquo;Si je faisais un parfum, j&rsquo;y mettrais de la naphtaline&rdquo;, quel rapport entretient-il avec le pass&eacute;, ce qui n&rsquo;est plus&nbsp;? &ldquo;J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; long &agrave; pouvoir le dire, mais je d&eacute;teste le temps pr&eacute;sent. Les stakhanovistes du maintenant et Internet qui nous a pr&eacute;cipit&eacute;s dans une fausse valeur. Il est curieux, par exemple, d&rsquo;observer que tous les appareils photo ou les t&eacute;l&eacute;phones portables proposent des applications s&eacute;pia. Voil&agrave; ce qu&rsquo;est le temps pr&eacute;sent, &ccedil;a ne fonctionne pas, c&rsquo;est une esp&egrave;ce de tyrannie o&ugrave; chacun court apr&egrave;s des notions li&eacute;es au pass&eacute;. Ce qui est moderne aujourd&rsquo;hui, n&rsquo;est vraiment pas d&rsquo;aujourd&rsquo;hui&rdquo;, insiste-t-il. &ldquo;La mode, la cadence hyst&eacute;rique des collections, la nudit&eacute;, les fashion weeks sont tellement omnipr&eacute;sentes qu&rsquo;il m&rsquo;importait de retrouver le temps.&rdquo; Le temps et sa lenteur concentr&eacute;e, le temps n&eacute;cessaire &agrave; la r&eacute;alisation d&rsquo;un v&ecirc;tement. Olivier Saillard a charg&eacute; son assistant de chiffrer l&rsquo;hyst&eacute;rie&nbsp;: entre Londres, Paris, Milan, New York, la derni&egrave;re saison a comptabilis&eacute; 367 d&eacute;fil&eacute;s et 13&nbsp;840 silhouettes. La prochaine mission s&rsquo;int&eacute;ressera au nombre de v&ecirc;tements. &ldquo;Je pense que cela raconte quelque chose. Moi, dans ma vie, j&rsquo;ai fait une seule robe, contrairement &agrave; Karl Lagerfeld qui en a fait trois millions et demi, sourit-il. Elle m&rsquo;a demand&eacute; beaucoup de temps, mais je l&rsquo;ai dessin&eacute;e et con&ccedil;ue pour qu&rsquo;elle ne soit pas con&ccedil;ue. Pour qu&rsquo;elle puisse appartenir aussi bien &agrave; Balenciaga, Chanel, Yohji Yamamoto qu&rsquo;&agrave; Martin Margiela.&rdquo; M&eacute;taphore de la robe couleur du temps, all&eacute;gorie de l&rsquo;ombre. Ce n&rsquo;est pas la robe d&rsquo;Olivier Saillard, mais celle des autres, celle de l&rsquo;id&eacute;e de la couture et de la cr&eacute;ation en g&eacute;n&eacute;ral. Olivier Saillard, en montrant la naissance d&rsquo;une robe &eacute;voque l&rsquo;exact oppos&eacute;, le &ldquo;trop de robes&rdquo;. C&rsquo;est aussi cela le th&egrave;me d&rsquo;Eternity Dress. &ldquo;Plus je vois de robes, et c&rsquo;est mon quasi-quotidien depuis vingt ans, plus je suis tent&eacute; de dire que depuis les ann&eacute;es 1914, soit un si&egrave;cle, ce sont les m&ecirc;mes. Il n&rsquo;y a pas de renouvellement. Des p&eacute;riodes diff&eacute;rentes, certes, mais une forme de constance. A distance, on s&rsquo;apercevra que le XXe si&egrave;cle n&rsquo;est pas celui que l&rsquo;on a d&eacute;crit, il est celui d&rsquo;une certaine forme de permanence.&rdquo; Une sorte d&rsquo;histoire circulaire, donc ent&ecirc;tante, une relation consanguine.

La pl&eacute;thore de collections qui impose un devoir de cr&eacute;ation aux couturiers les contraint &agrave; r&eacute;assortir leurs id&eacute;es, &ldquo;en allant puiser dans le vintage&rdquo;, pr&eacute;cise Saillard. &ldquo;Je pense que nous sommes arriv&eacute;s aux extr&eacute;mit&eacute;s de ce syst&egrave;me, et ce magma est en phase de s&eacute;dimentation. A force de travailler sur le vintage des autres ou d&rsquo;eux-m&ecirc;mes, ils sont en train de construire leur propre n&eacute;gatif.&rdquo; Et, bien que le sch&eacute;ma &eacute;conomique ne le permette pas, Olivier Saillard aimerait entendre la voix d&rsquo;un cr&eacute;ateur qui dirait &ldquo;je cr&eacute;e dix robes, et dans deux ans, j&rsquo;en pr&eacute;senterai dix autres. Le r&eacute;cit de la mode se r&eacute;inventera par le r&eacute;cit du v&ecirc;tement.&rdquo; On quitte la multitude pour l&rsquo;unicit&eacute;. Se retrouver face au besoin, &agrave; l&rsquo;essentiel&nbsp;: se v&ecirc;tir. D&rsquo;o&ugrave; le v&ecirc;tement un, qui peut devenir multiple s&rsquo;il est d&eacute;clin&eacute;, et peut accompagner le long d&rsquo;une vie. Lui, aurait pu &eacute;crire le livre de l&rsquo;intranquillit&eacute;. &ldquo;R&eacute;cemment, je d&icirc;nais avec des amis et l&rsquo;un d&rsquo;eux me faisait remarquer que j&rsquo;&eacute;tais maussade, tout le temps. Ce &agrave; quoi j&rsquo;ai r&eacute;pondu que, lorsque je suis seul, je broie du noir. Depuis quand&nbsp;? me demande-t-il. Depuis 46 ans.&rdquo; L&rsquo;humour version d&eacute;rision salvatrice n&rsquo;est jamais loin du noir profond. &ldquo;Je suis sombre, sauf quand je suis avec des amis. L&agrave;, je fanfaronne, je parle beaucoup, je ris, je bois trop de whisky. J&rsquo;ai deux rem&egrave;des&nbsp;: nager dans la mer et boire du whisky.&rdquo; 
 
La psychanalyse qu&rsquo;il a suivie lui a-t-elle ouvert des horizons&nbsp;? &ldquo;Je ne sais pas. Cela m&rsquo;a permis de gagner de l&rsquo;assurance. Je pense que cela m&rsquo;a sauv&eacute; d&rsquo;une trop grande noirceur. Mais j&rsquo;ai un peu le sentiment que le prochain projet est le dernier. D&rsquo;ailleurs, exceptions faites de mon s&eacute;jour &agrave; Marseille et de mes six mois de r&eacute;sidence, j&rsquo;ai gard&eacute; la m&ecirc;me psychanalyste pendant vingt ans.&rdquo; Pourquoi une femme&nbsp;? &ldquo;Car ce que les hommes se disent plus volontiers entre eux, je ne peux pas le dire. J&rsquo;ai grandi entour&eacute; de quatre s&oelig;urs, j&rsquo;aime la bienveillance des femmes, m&ecirc;me si parfois je me trompe. Je me sens mieux dans cette alt&eacute;rit&eacute;, et peut-&ecirc;tre dans cette sensibilit&eacute;. Et puis, en rentrant du Japon, j&rsquo;ai arr&ecirc;t&eacute;.&rdquo; Le travail artistique est-il une th&eacute;rapie&nbsp;? &ldquo;Non, il peut parfois m&ecirc;me pr&eacute;cipiter une chute. Mais un moment donn&eacute; je n&rsquo;arrivais plus &agrave; me rendre aux s&eacute;ances. J&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;arr&ecirc;ter, sans lui dire. Donc ce n&rsquo;est pas tout &agrave; fait termin&eacute;, il demeure une porte entrouverte...&rdquo; Aux dessins que, jeune homme, Olivier Saillard avait envoy&eacute; &agrave; plusieurs grandes maisons, seul Christian Lacroix avait r&eacute;pondu&nbsp;: &ldquo;N&rsquo;ayez pas peur, ce qui doit arriver arrivera&rdquo;. Qu&rsquo;est-il vraiment arriv&eacute;&nbsp;? &ldquo;Sans pr&eacute;tention aucune, je pense que j&rsquo;ai invent&eacute; mon quotidien. Je pense avoir bien fait mon travail dans le cadre des expositions. J&rsquo;ai consid&eacute;r&eacute; que l&rsquo;&eacute;criture jointe au v&ecirc;tement alimentait une pens&eacute;e. Et en inventant ce travail d&rsquo;&eacute;criture po&eacute;tique, et ces performances, j&rsquo;ai invent&eacute; ma r&eacute;sidence secondaire.&rdquo; Conscient de la n&eacute;cessit&eacute; de ma&icirc;triser son savoir en posant les fronti&egrave;res de son propre territoire d&rsquo;op&eacute;ration.

J.M. Weston marque le pas

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