Dans son atelier parisien, proche de la place de la République, Evi Keller a rassemblé de grands voiles composés d’une matière animée par le souffle et la lumière, ainsi qu’une nouvelle série de sculptures immaculées, fortement habitées. Rencontre, à quelques jours de Choices Paris Gallery Weekend (20-21 mai) dans le cadre duquel la Galerie Jeanne Bucher Jaeger expose une installation Matière-Lumière de l’artiste.

L&rsquo;OFFICIEL ART&nbsp;: Qu&rsquo;est-ce que les grands voiles mouvants de Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re disent de vous&nbsp;?

EVI KELLER&nbsp;: La th&eacute;matique Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re porte sur le cycle naturel de transformation d&rsquo;un processus en devenir, de l&rsquo;eau vers la glace. Les variations de lumi&egrave;re modifient la perception de l&rsquo;&oelig;uvre et, in fine, la cr&eacute;ent. Le mouvement du voile g&eacute;n&egrave;re une lumi&egrave;re complexe dont la direction des rayons r&eacute;fl&eacute;chis varie de place en place, jouant une partition qui fait de Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re une infinit&eacute; d&rsquo;&oelig;uvres. Cette mati&egrave;re organique semble vivante et vibrante&nbsp;; la lumi&egrave;re transmute le voile en mati&egrave;res changeantes min&eacute;rales, v&eacute;g&eacute;tales, animales et humaines&hellip; Suivant les modifications de luminosit&eacute;, une Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re peut ainsi faire appara&icirc;tre une multiplicit&eacute; de nuances de gris, noir, parfois teint&eacute;es or ou argent. L&rsquo;approche visuelle premi&egrave;re nous indique que c&rsquo;est, par exemple, teint&eacute; &agrave; la feuille d&rsquo;or, mais finalement c&rsquo;est l&rsquo;imaginaire qui devient r&eacute;el et prend forme. Au fil de l&rsquo;observation, des formes et figures peuvent appara&icirc;tre, et dispara&icirc;tre suivant les mouvements appliqu&eacute;s par la lumi&egrave;re et le souffle du vent, lorsque les &oelig;uvres sont expos&eacute;es en plein air, comme cela a &eacute;t&eacute; le cas dans le jardin du Mus&eacute;e de la c&eacute;ramique de S&egrave;vres, en juin dernier. M&ecirc;me si chaque &oelig;uvre m&rsquo;&eacute;voque un mot, je pr&eacute;f&egrave;re les intituler de fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rique, ceci pour laisser &agrave; chacun une amplitude d&rsquo;interpr&eacute;tation.&nbsp;&nbsp;

Comment passez-vous de supports transparents recouverts de pigments &agrave; la blancheur rigide du pl&acirc;tre utilis&eacute; pour votre nouvelle s&eacute;rie de sculptures&nbsp;?

Le principe de cr&eacute;ation correspond &agrave; la transition de phase d&rsquo;un &eacute;tat solide vers un &eacute;tat liquide, tel la glace vers l&rsquo;eau, les voiles se solidifient dans la mati&egrave;re du pl&acirc;tre.&nbsp;Il r&eacute;pond &eacute;galement au pli, &agrave; l&rsquo;ombre, qui est la lumi&egrave;re non r&eacute;v&eacute;l&eacute;e et permet le changement... ce qui est ombre ici deviendra lumi&egrave;re dans une heure. J&rsquo;ai travaill&eacute; sur une forme qui s&rsquo;approche de l&rsquo;humain, mais se trouve &ecirc;tre creuse &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur. Dans la blancheur du pl&acirc;tre, une forme rocheuse, qui appelle l&rsquo;id&eacute;e des voiles solidifi&eacute;s, prenant forme(s), rendant ainsi visible l&rsquo;invisible. Cette d&eacute;marche archa&iuml;que nous connecte &agrave; une m&eacute;moire tr&egrave;s ancienne. A la mani&egrave;re de spectres rev&ecirc;tus de pl&acirc;tre. J&rsquo;ai travaill&eacute; avec ce mat&eacute;riau il y a quelques ann&eacute;es d&eacute;j&agrave;, j&rsquo;en appr&eacute;cie la symbolique de la gu&eacute;rison&nbsp;: consolider ce qui est bris&eacute;. Le pl&acirc;tre &ldquo;r&eacute;parateur&rdquo; est le point de d&eacute;part de ma r&eacute;flexion autour de ces pi&egrave;ces. En 2010-2011, j&rsquo;ai ainsi r&eacute;alis&eacute; un tableau constitu&eacute; de feuilles de cellophane bord&eacute;es de pl&acirc;tre. Il agit comme un miroir flout&eacute;, beaucoup plus int&eacute;ressant que les miroirs nets et pr&eacute;cis. Je cherche &agrave; amplifier la lumi&egrave;re, la mat&eacute;rialiser en nous et &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur. Ma participation &agrave; l&rsquo;exposition &ldquo;Kairos&rdquo;, s&rsquo;inscrit dans la lign&eacute;e de ma recherche du &ldquo;moment juste&rdquo;. Le contemporain est dans l&rsquo;&ldquo;ici maintenant&rdquo;.&nbsp;

Matière-Lumière, sans titre, ML-V-15-0502, 2015, 430 cm x 420 cm, Sèvres Outdoors 2016 © Evi Keller

Ne pas &ecirc;tre dans le repentir, dans le regret&nbsp;: face &agrave; un tel postulat, o&ugrave; se place le d&eacute;sir, nourri de l&rsquo;absence, de l&rsquo;attente, du besoin&nbsp;?

Il est dans l&rsquo;instant pr&eacute;sent. Align&eacute; dans ce pr&eacute;sent. Le d&eacute;sir se forme, s&rsquo;apprivoise, dispara&icirc;t, m&ecirc;me, car rempli de l&rsquo;instant. Si le d&eacute;sir est le moteur de notre existence, il se d&eacute;finit pour moi dans l&rsquo;instant m&ecirc;me et c&rsquo;est surtout ne pas &ecirc;tre &ldquo;d&eacute;sir&rdquo;. Ce d&eacute;sir est diff&eacute;rent dans la mesure o&ugrave; je suis connect&eacute;e avec cette notion de kairos. Il n&rsquo;y a pas de d&eacute;sir, juste la pl&eacute;nitude.

Vous &ecirc;tes issue de la photographie, comment ce m&eacute;dium infuse-t-il votre peinture/sculpture&nbsp;?

J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; tr&egrave;s t&ocirc;t fascin&eacute;e par l&rsquo;eau et la lumi&egrave;re. Dans ma prime enfance, en Allemagne, j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; connect&eacute;e avec la nature, ma maison &eacute;tait plant&eacute;e sous le ciel, en pleine nature. La notion vitale des quatre &eacute;l&eacute;ments, pr&eacute;sente dans mon &oelig;uvre, trouve ici sa source. La photographie m&rsquo;int&eacute;resse dans la mesure o&ugrave; elle a pour ambition de ma&icirc;triser la lumi&egrave;re. Aujourd&rsquo;hui, cela me permet de faire mati&egrave;re-lumi&egrave;re parce qu&rsquo;il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une interaction perp&eacute;tuelle entre lumi&egrave;re et mati&egrave;re. Avec mes nouvelles sculptures, je travaille &agrave; amplifier la lumi&egrave;re qui s&rsquo;insinue &agrave; travers ces fissures. Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re cristallise des approches artistiques comme la photographie, la peinture, la sculpture et la cr&eacute;ation audiovisuelle. Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re invite &agrave; un voyage entre l&rsquo;int&eacute;rieur et l&rsquo;ext&eacute;rieur, entre infiniment petit et infiniment grand. C&rsquo;est habiter un monde o&ugrave; chemine la lumi&egrave;re, nous r&eacute;v&eacute;lant au plus profond de nous-m&ecirc;me.

Installation Matière-Lumière 2017, Evi Keller © Evi Keller

Matière-Lumière [Towards-the-light-silent transformations]- MG-4654 et 4817

Matière-Lumière, sans titre, ML-SC-16-0821, 2016, sculpture, 150 cm de hauteur

Vue d'exposition "Château Kairos", Château de Gaasbeek, Belgique. Evi Keller, Antony Gormley, Mynke Buskens

Vue d'exposition Corps et Ames - Asger Jorn, Fabienne Verdier, Hans Reichel, Yang Jiechang A photo Hervé Abbadie

&Agrave; VOIR

&bull; Dans le cadre de Choices Paris Gallery Weekend (20-21 mai), Evi Keller expose une installation de trois cr&eacute;ations Mati&egrave;re-Lumi&egrave;re (&oelig;uvre audiovisuelle, voile, sculpture) &agrave; la galerie Jeanne Bucher Jaeger, Marais, 5 et 7, rue de Saintonge, Paris 3, T 01 42 72 60 42. Cette installation sera pr&eacute;sent&eacute;e du 18 mai au 3 juin. 
<a href="http://www.choices.fr/paris-gallery-weekend/galerie/jeanne-bucher-jaeger/">http://www.choices.fr/paris-gallery-weekend/galerie/jeanne-bucher-jaeger/</a>

&bull; &ldquo;Corps et Ames, un regard prospectif&rdquo; (exposition collective). &OElig;uvres de Ferm&iacute;n Aguayo, Andr&eacute; Bauchant, Michael Biberstein, Roger Bissi&egrave;re, Miguel Branco, Fred Deux, Jean Dubuffet, Alberto Giacometti, Antony Gormley, G&uuml;nter Haese, Evi Keller, Louis Le Brocquy, Fernand L&eacute;ger, Alfred Manessier, Andr&eacute; Masson, Rui Moreira, Vera Pagava, Jean-Paul Philippe, Hans Reichel, Susumu Shingu, Nicolas de Sta&euml;l, Arpad Szenes, Mark Tobey, Fabienne Verdier, Maria Helena Vieira da Silva, Paul Wallach, Etienne Bertrand Weill, Yang Jiechang, Arts Premiers. 
Galerie Jeanne Bucher Jaeger, 5 et 7, rue de Saintonge, Paris 3. 
<a href="http://jeannebucherjaeger.com/fr/">www.jeannebucherjaeger.com</a>

&bull; Evi Keller, &ldquo;Ch&acirc;teau Kairos, Cueillir l&rsquo;&eacute;ternit&eacute; dans l&rsquo;instant&rdquo;, exposition collective, (commissaire Joke Hermsen), du 1er avril au 18 juin. &OElig;uvres de Maarten Baas, Peter Bogers, Alice Brasser, Mynke Buskens, David Claerbout, Alexandra Cool, Mariska de Groot, Jaap de Jonge, Eric de Nie, Nicolas de Sta&euml;l, Gilbert Garcin, Antony Gormley, Suzanna Hertrich, Rebecca Horn, Marlies Hulzebos, Jay Mark Johnson, Dani Karavan, Evi Keller, Olga Kisseleva, Jorge Macchi, George Meertens, Corinne Mercadier, Sofie Muller, Otobong Nkanga, Hans Op de Beeck, Thierry P&eacute;cas-taing, Andr&eacute; Pielage, Quayola, Pipilotti Rist, Georgia Russell, Anri Sala, Susumu Shingu, Chiaru Shiota, Marielin Simons, Berndnaut Smilde, Patrick Van Caeckenbergh, Martijn Veldhoen et Antonella Zazzera. 
Ch&acirc;teau de Gaasbeek, Kasteelstraat 40, B-1750 Lennik (Gaasbeek), T +32 (0)2 531 01 30, <a href="http://www.kasteelvangaasbeek.be/nl">kasteelvangaasbeek.be</a>&nbsp;

Rencontre avec Evi Keller

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